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Équateur : la presse sommée de ne pas parler de l'éruption du volcan Cotopaxi

Alors que le volcan Cotopaxi, considéré comme l'un des plus dangereux au monde, s'est réveillé en Équateur, le gouvernement de Rafael Correa a ordonné à la presse de ne pas couvrir l'éruption afin de ne pas créer une panique collective.

En Équateur, le réveil d’un volcan peut entraîner la mise en sourdine de la presse. Alors que, dans le centre du pays, le volcan Cotopaxi, considéré comme l'un des plus dangereux du monde, s'est réveillé, Quito a ordonné aux médias, samedi 15 août, d’abandonner toute couverture de l’éruption.

"Afin de garantir la sécurité des citoyens, la censure préalable est décrétée concernant l'information sur le processus éruptif du volcan Cotopaxi émise par les médias de communication", a énoncé le gouvernement équatorien via un décret instaurant l'état d'exception.

Éviter les "rumeurs"

Situé à 45 km au sud de Quito, le volcan culminant à 5 897 mètres d'altitude est secoué depuis vendredi par de nombreuses explosions, dégageant d'imposantes colonnes de cendres ainsi que des fragments solides et incandescents. Jusqu'à 325 000 personnes pourraient être affectées par des avalanches liées à l'éruption.

La réaction du gouvernement ? D'abord, évacuer 505 habitants des localités voisines. Puis contrôler l'information pour éviter, selon lui, une possible panique collective. "Dans ces cas-là, l'information est très importante", a déclaré le président socialiste Rafael Correa, mettant en garde contre le risque "de créer des rumeurs", notamment sur Twitter.

L'état d'exception sera en vigueur pour 60 jours maximum et durant cette période, les Équatoriens "ne pourront s'informer que par les bulletins officiels émis sur le sujet par le ministère coordinateur de la sécurité, avec l'interdiction de diffusion de toute information non autorisée par un média de communication, qu'il soit public ou privé, ou via les réseaux sociaux".

Flou

La mesure a quelque peu irrité les médias équatoriens, déjà régulièrement critiqués par le chef de l’État pour leurs liens supposés avec l'opposition. "Le président argue que c'est pour éviter la panique avec des informations alarmistes. On part du principe que les journalistes et les citoyens sont alarmistes, il y a ce préjugé implicite", critique Diego Cornejo, directeur de l'Association équatorienne d'éditeurs de journaux (Aedep).

César Ricaurte, directeur de l'ONG Fundamedios, dénonce, lui, le flou autour de la censure. "Nous ne savons pas en réalité si le décret se réfère à l'ensemble des réseaux sociaux ou seulement les comptes des médias de communication", explique-t-il, et "l'ambiguïté du décret laisse [au gouvernement] un énorme pouvoir, y compris pour dire que les citoyens ne peuvent pas se prononcer". Une autre inconnue demeure : les sanctions en cas de non-respect de la censure.

Le ministre de la Communication, Fernando Alvarado, a assuré que les médias pourraient réaliser leur travail en couvrant l'éruption. Mais ils devront le faire avec "énormément de responsabilité et d'attention pour que leurs histoires, leurs reportages, leurs photographies ne s'écartent en aucun cas du message officiel clair sur la dangerosité, la prévention, la tranquillité de la population".

Pour l'avocat Romel Jurado, qui avait participé en 2013 à la rédaction d'une loi de communication renforçant le contrôle de l'État sur la presse, il est important de réguler l'information durant une catastrophe naturelle. "Contrôler les réseaux sociaux est extrêmement complexe, mais la mise en garde se fait précisément pour ne pas stimuler un mauvais usage des réseaux sociaux en relation" avec le volcan, souligne-t-il, car "une information mal diffusée, inexacte, fausse ou intentionnellement erronée pourrait conduire à la perte de vies ou de biens".

Protestations

La situation actuelle "n'est pas dangereuse, mais potentiellement dangereuse", rétorque Diego Cornejo, insistant sur le caractère "disproportionné" du décret. "Pour la première fois nous avons une législation, un décret, un pouvoir légal pour réguler les réseaux, c'est très dangereux", renchérit César Ricaurte.

Cette censure préventive coïncide avec les protestations menées par l'opposition et des groupes indigènes. Le 13 août, une grande journée d'action contre le gouvernement, au cours de laquelle des milliers de personnes ont aussi défilé en faveur du président, s'est soldée par de violents affrontements avec les forces de l'ordre. Près de 70 policiers ont été blessés et 47 manifestants arrêtés.

Ce mouvement, qui a bloqué de nombreuses routes du pays, visait à dénoncer la méthode de gouvernement de Rafael Correa, que ses opposants qualifient d'autoritaire, alors que le président veut modifier la Constitution pour briguer un quatrième mandat.

Avec AFP