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Festival de Cannes, deuxième jour. Où l’on s’extasie devant la spectaculaire renaissance du mythique héros de cinéma Mad Max. Et l’on se laisse bercer par le charme d’anciens contes napolitains passés à la moulinette de Matteo Garrone.
On pourrait disserter longtemps sur ce qui fait la magie du Festival de Cannes. Sa montée des marches, ses avant-premières mondiales, ses stars en goguette, ses innombrables soirées jet-set, son décor méditerranéen… Mais ce qui en fait un événement unique, c'est surtout ce don d'ubiquité lui permettant d'être traversé tout à la fois par l'énergie du présent et la sagesse du passé.
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Temple ultra-médiatisé du cinéma d’aujourd’hui, gardienne privilégiée de sa propre légende, la Croisette n’a pas son pareil pour ressusciter les mythes. En témoigne l’affiche officielle du Festival qui, comme chaque année depuis plusieurs éditions, convoque des figures immortelles du grand écran (après Marcello Mastroiani en 2014, Ingrid Bergman aujourd’hui), comme pour mieux payer sa dette envers ces monstres sacrés qui contribuèrent à ériger le cinéma au rang de septième art.
Il est une autre figure, fictive celle-ci, dont Cannes ne pouvait décemment pas manquer la fracassante renaissance cinématographique. Son nom est Max, Mad Max. Après trois décennies d’absence, c’est sur les rives imperturbables de la Côte d’Azur que l’emblématique héros solitaire créé par l’Australien Georges Miller a signé son come-back officiel. Présenté hors compétition, le très attendu quatrième opus de la saga post-apocalyptique a reçu un accueil survolté de la part de la presse, pourtant plus habituée aux huées qu’aux vivats.
"Mad Max : Fury Road" : le bruit et la fureur
Il faut dire que cela faisait bien longtemps qu’un studio américain – en l’occurrence la Warner – n’avait produit pareil morceau de bravoure. Quasiment filmé comme un huis-clos motorisé (les rares fois où les protagonistes descendent de leur véhicule vrombissant se comptent sur les doigts de la main), "Mad Max : Fury Road" offre deux heures de spectacle éblouissant de bruit, de fureur et d’inventivité visuelle.
La bande annonce du jour
A l’heure où Hollywood recycle laborieusement ses super-héros au gré d’interminables suites, "préquels", "reboots" et autres grosses ficelles commerciales au bord de l’usure, on se réjouira de ce que la franchise post-apocalyptique ait su réinventer un mythe longtemps abandonné aux sables australiens. Première réussite : la capacité de Tom Hardy à rapidement faire oublier Mel Gibson qui, pourtant, incarne encore dans l’inconscient collectif le célèbre fou du volant.
Physiquement plus imposant que son prédécesseur, le jeune acteur britannique campe un Mad Max organique dont la moitié du visage restera recouverte, une bonne partie du film, d’une encombrante muselière métallique. Pied de nez espiègle que George Miller adresse à son personnage dont on connaît le peu d’appétence pour les longs discours. Au final, la partition de Tom Hardy se limite à dix lignes de texte et quelques éructations bestiales.
L’éclair de génie du cinéaste australien est, justement, d’avoir osé ne témoigner qu’une déférence mesurée envers sa créature. Laissant le soin, non pas à Mad Max, mais à la bien-nommée Furiosa (Charlize Theron, impeccable en garçon manqué) de porter une large partie de la tonitruante épopée.
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Lors de la sortie, dans les années 1980, des premiers volets de la saga, George Miller s’était révélé un réalisateur particulièrement lucide sur l’état du monde et les pulsions autodestructrices de l’Homme (dépendance au pétrole, soif de pouvoir, inclination naturelle à la violence…). Avec ce blockbuster futuriste aux accents féministes, il vient nous prouver qu’il n’a rien perdu de sa faculté à traiter par le chaos des grandes questions d’aujourd’hui. Notamment écologiques. Puisque dans "Mad Max : Fury Road", ce n’est plus le pétrole mais l’eau qui est devenue denrée rare. Et permet à l’immonde seigneur de guerre Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne) de régner en maître sur ses terres de désolation. Aussi spectaculaire que visionnaire, aussi spectral que lumineux, le "Mad Max" quatrième du nom est la première grosse sensation du Festival.
"Tale of Tales" : pour la beauté du geste
Dans la catégorie "grosse production", mais en compétition cette fois-ci, "Tale of Tales" n’a pas non plus à rougir de la puissance visuelle qui irradie chacun de ses plans. Librement inspiré de contes populaires napolitains datant du XVIIe siècle, l’escapade en territoire costumé de l’Italien Matteo Garrone (déjà lauréat de deux Grand prix du jury) est une ode baroque au pouvoir des images et de l’imagination.
Trois histoires discrètement liées entre elles constituent ce "conte des contes". La première suit les infortunes d’un roi et d’une reine (John C. Reilly, Salma Hayek) contraints de pactiser avec le Diable pour assurer une descendance à la couronne. La deuxième relate le désarroi d’une princesse (Bebe Cave) que le père (Toby Jones) marie, par faiblesse, à un ogre des plus effroyables. La troisième, enfin, narre les mésaventures d’un roi (Vincent Cassel) que la concupiscence aveugle pousse dans les bras d’une vieille sorcière aux atours de nymphe à la longue chevelure rousse (Stacy Martin).
Quête d’idéal, culte de la jeunesse éternelle, poursuite inlassable du bonheur… "Tale of Tales" embrasse les thématiques usuelles des grands récits fondateurs. On restera toutefois dérouté par le fait que les trois fables passées à la moulinette Garrone ne s’achèvent, comme le voudrait la tradition littéraire, sur une morale claire et précise.
Très vite, on se rend compte que l’intention du cinéaste n’est pas de verser dans l’allégorie lourdingue qui ferait écho au monde d’aujourd’hui mais bien de rendre, sans tambour ni trompette, ses lettres de noblesse à un genre féérique insidieusement accaparé par l’industrie du cinéma américain, style Walt Disney. À l’image de cette troupe de saltimbanques chargée de divertir la reine Salma Hayek, Matteo Garrone se pose en conteur dont la fonction primordiale est celle de divertir, dans le sens noble du terme.
On sort de "Tale of Tales" certes sur notre faim mais non sans savourer le plaisir de constater qu’il est encore possible de produire des contes en laissant au charme le temps d’opérer. Et prendre son temps, c’est, à Cannes, un luxe qu’il est souvent difficile de s’offrir.