logo

Après son discours fracassant sur la dette, Hollande arrive en Haïti

Après une visite historique à Cuba, François Hollande est arrivé mardi en Haïti pour signer plusieurs accords de coopération. Le président s'est récemment engagé à "acquitter" la dette de la France envers ce pays, mais de façon morale.

Après avoir posé pied mardi 12 mai en Haïti, François Hollande va devoir s’expliquer sur ses récentes paroles prononcées dimanche en Guadeloupe. Lors de l’inauguration du Mémorial ACTe à Pointe-à-Pitre, le président français a en effet surpris l’auditoire en déclarant : "Quand je viendrai à Haïti, j'acquitterai à mon tour la dette que nous avons."

En quelques secondes, cette annonce fracassante a été reprise des centaines de fois sur les réseaux sociaux. "La dette d'Haïti acquittée ? J'ai rêvé ou bien ?", s’est ainsi enthousiasmé une internaute sur Twitter. Ces mots de François Hollande ont réveillé une revendication portée par beaucoup d'Haïtiens : que leur pays récupère enfin l'argent qu'il a dû verser à la France après son indépendance en 1804.

Afin de compenser les pertes de revenus des colons, le royaume français avait en effet exigé à l’époque que le jeune État verse une indemnité de 150 millions de francs-or. Après de nouveaux accords en 1838, Haïti a finalement payé à la France 90 millions de francs-or, l’équivalent de 17 milliards d’euros actuels. Ce n’est qu’en 1952 que cette dette a été réglée avec le paiement des derniers intérêts des emprunts contractés par Haïti.

"Une insulte insupportable"

Mais les espoirs d’un retour de cet argent ont été bien vite balayés. Car l’entourage du président français a rapidement précisé qu’il s'agissait uniquement d'une "dette morale" et non pas financière comme certains l'avaient compris. Une volte-face qui apparaît aujourd’hui comme une bourde, voire un affront pour certains. "Haïtiens, on se moque de vous. Ce revirement est une insulte insupportable qui vous est faite, qui nous est faite. Car tout le monde a bien entendu les propos de M. Hollande", a ainsi réagi dans un communiqué Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), qui demande depuis des années une restitution. "Ne laissez pas la France vous voler une seconde fois. C’est à vous de le dire haut et fort", a-t-il ajouté.

Le principal quotidien d'Haïti, "Le Nouvelliste", a lui aussi montré sa déception : "La dette morale est celle due pour avoir mis en esclavage des Noirs arrachés d’Afrique pour transformer chaque goutte de leur sueur, de leur sang et chaque parcelle de Saint-Domingue en richesse pour la métropole", a dénoncé le rédacteur en chef Frantz Duval dans un édito publié le 11 mai. "Cette dette morale, jamais Haïti n’en a demandé réparation. Elle est irréparable nous en convenons. Nous la laissons comme une tache sur le blason des civilisés", a-t-il encore écrit.

Le journal préfère pointer du doigt l’indemnité versée par Haïti tout au long du XIXe siècle et qui "a entravé l’économie haïtienne, étranglé notre développement" et qui "hypothèque encore l’évolution de notre pays". Mais il insiste surtout sur "la dette pour l’avenir". Il rappelle en effet qu’à la suite du terrible tremblement de terre qui avait frappé le pays, l’ancien président Nicolas Sarkozy avait annoncé des "engagements pour 300 millions d’euros" lors de sa venue en 2010 mais que ces derniers se sont "perdus dans la comptabilité chaotique de l’après-séisme". Comme le rapporte l'AFP, la France a pour l'instant mobilisé 25 millions de dollars (environ 22 millions d'euros) pour la reconstruction.

Après standing ovation reçu quand il a parlé de s'acquitter de dette envers Haïti @fhollande se doit de payer plus que la dette morale

— Frantz Duval (@Frantzduval) 11 Mai 2015

La visite de François Hollande ce mardi sera donc particulièrement scrutée par les Haïtiens. Même si la dette ne sera pas acquittée de façon financière, "le président Hollande peut faire du discours de Port-au-Prince un point de départ pour un renforcement de la coopération dans des domaines plus que stratégiques pour Haïti comme pour la France", estiment ainsi quatre écrivains haïtiens dans une tribune publiée dans "Libération". Ces derniers attendent notamment la signature d’accords en termes d’éducation, d’environnement, de coopération scientifique, d’agro-industrie, de reconstruction et de tourisme. "Souhaitons que ce court voyage, après deux siècles de relations mitigées entre les deux pays, marque un tournant qui aille au-delà du symbolique", concluent-ils.