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Alors que le président français est arrivé à Cuba, lundi matin (heure française), Amnesty International lui demande de ne pas laisser les discussions économiques avec son homologue Raul Castro éclipser la question des droits de l’Homme.

L’événement est historique. En se rendant à Cuba, lundi 11 mai, François Hollande devient le premier chef d’État français à effectuer un voyage officiel sur l’île communiste. Cette visite, après celle du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius il y a un an, marque un nouveau tournant dans les relations franco-cubaines. Elle intervient également alors que Cuba a amorcé le 17 décembre, après plus de cinquante ans de rupture, un rapprochement diplomatique avec les États-Unis.

Le moment choisi par l’Élysée est donc tout à fait symbolique. Un vent de fraîcheur souffle sur La Havane depuis cinq mois – avec l'annonce du rapprochement diplomatique entre les États-Unis et Cuba – avec, en perspective, l’amélioration de la situation économique et pour les entreprises françaises, l’espoir de signer des contrats très avantageux. L'Élysée a d'ailleurs mis toutes les chances de son côté avec une délégation officielle impressionnante : pas moins de 76 personnes, dont des membres du gouvernement, des personnalités politiques, économiques et de la société civile, font en effet partie du voyage officiel.

Mais si Cuba s’ouvre économiquement depuis quelques années et que des progrès ont aussi été effectués sur le plan des libertés individuelles, la question des droits de l’Homme reste un sujet de préoccupations.

"Il s’agit toujours d’un système profondément répressif où les libertés d’association, de réunion et d’expression sont extrêmement limitées, affirme Robin Guittard, spécialiste de Cuba chez Amnesty International, contacté par France 24. Il y a des évolutions en cours depuis quelques années, mais la situation globale reste inchangée."

Une moyenne de 700 arrestations par mois en 2014

La réforme migratoire de 2013 a ainsi supprimé la "carte blanche" nécessaire auparavant pour toute sortie du territoire. La situation des prisonniers politiques et d’opinion a aussi évolué avec un seul prisonnier d’opinion recensé en 2015 contre une quarantaine jusqu’en 2009, selon Amnesty International.

"Mais cette baisse du nombre de prisonniers est davantage une évolution de la tactique des autorités cubaines que le signe d’une amélioration de la liberté d’expression, juge Robin Guittard. Les autorités se sont rendu compte qu’avoir des prisonniers d’opinion donnait une mauvaise image. Ces derniers ont donc été libérés en 2009 et 2010. Mais les dissidents politiques ne sont pas plus libres d’exprimer leurs opinions aujourd’hui. Les médias sont toujours sous le contrôle total et exclusif du gouvernement et les syndicats sont toujours interdits."

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Au lieu d’envoyer en prison les dissidents, le régime cubain préfère désormais multiplier les arrestations de courte durée. Celles-ci durent généralement quelques heures et peuvent se répéter jusqu’à cinq fois par semaine. Les figures connues de l’opposition au régime comme la blogueuse Yoani Sanchez, son mari Reinaldo Escobar, rédacteur en chef du site d’information 14ymedio, l’artiste Tania Bruguera ou encore Elizardo Sanchez, président de la Commission cubaine des droits de l’Homme, en ont tous fait l’expérience.

Et ce n’est pas l’annonce conjointe historique des présidents Barack Obama et Raul Castro qui a mis fin au harcèlement et à la répression dont ces dissidents sont victimes. En 2014, il y avait ainsi en moyenne 700 arrestations de courte durée par mois, selon les chiffres d’Amnesty International. Or, si le mois de janvier 2015 a été marqué par une nette baisse avec "seulement" une centaine d’arrestations, celles-ci sont presque remontées en mars à leur niveau de l’an dernier avec 600 arrestations de courte durée comptabilisées.

"Responsabilité morale" de la France

Dans ce contexte, Amnesty International, dont la présence à Cuba est interdite depuis 1988, souhaite que la question des droits de l’Homme soit au programme du voyage de François Hollande.

"La France a une responsabilité morale de dire que les réformes économiques doivent être accompagnées par des réformes sociétales, déclare Robin Guittard. En tant que chef d’État d’un pays qui a été victime d’une attaque terroriste ciblant notamment la liberté d’expression, François Hollande serait en porte-à-faux avec les discours prononcés en janvier s’il n’était pas en mesure d’exprimer aux autorités cubaines qu’il doit y avoir des changements."

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Le président Hollande fera-t-il l’effort d’aborder ces sujets délicats alors qu’il espère dans le même temps favoriser le terrain pour les entreprises françaises ? La question revient lors de chaque déplacement d’un dirigeant français dans un pays où les droits de l’Homme ne sont pas respectés. Mais, pour Amnesty International, il faut absolument profiter du contexte actuel.

"Il faut que les autorités françaises accompagnent ce nouveau dialogue entre Cubains et Américains, estime Robin Guittard. Contrairement à d’autres pays, il y a une dynamique particulière sur Cuba qui peut être très productive. Il faut encourager l’évolution qui est en cours. Et puis si les Français veulent faire du commerce avec les Cubains, il est tout de même important, pour de bons rapports commerciaux, qu’il y ait un système judiciaire indépendant."