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Gilles Le Guen, le "paumé" qui a viré terroriste, devant la justice française

Le Français Gilles Le Guen, jihadiste présumé arrêté en 2013 au Mali, comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris les 4 et 5 mai pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Portrait.

"C'est un paumé qui devient terroriste", disait de lui le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, en avril 2013. Gilles Le Guen venait alors d’être arrêté par les forces spéciales françaises  au Mali, dans la région de Tombouctou. Incarcéré depuis en France, le jihadiste présumé comparaît lundi 4 et mardi 5 mai devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Jugé pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, ce Français de 60 ans risque dix ans de prison.

Au moment de son arrestation, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian avait affirmé que Gilles Le Guen, qui se faisait appeler Abdel Jelil, "avait combattu manifestement dans les groupes jihadistes", à la suite d’une  "dérive individuelle de fanatisme". Il avait été repéré en septembre 2012 dans les rangs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), sur un cliché récupéré par les services secrets français.

Peu après, Gilles Le Guen apparaissait à visage découvert dans une vidéo diffusée par l'agence de presse mauritanienne Sahara Media. Installé devant le drapeau noir des jihadistes, un fusil mitrailleur à portée de main, il y mettait la France en garde contre une intervention militaire au Mali. Une telle initiative "rendra notre lutte légitime comme celle de nos frères d'Afghanistan et de Palestine. Nous nous battrons jusqu'au bout", déclarait-t-il alors, tout en critiquant l’impérialisme politique et économique de "certains pays nantis".

"Un simple berger à moto"

Né en Loire-Atlantique en 1960, Gilles Le Guen a été officier de marine marchande entre ses 25 et ses 40 ans, comme il le déclare dans la vidéo de Sahara Media. Un métier qui pousse cet amoureux de la mer à voyager aux quatre coins du monde. Europe, Maghreb, Egypte, Soudan, Ethiopie – où il travaille pour Médecins sans frontières – Mauritanie, Yémen, Arabie Saoudite, etc… Des destinations qui le mettent "sur le chemin d’Allah".

Converti dans les années 1980, il se radicalise progressivement dans les années 2000, notamment lors de son séjour au Maroc où il tient une ferme pendant trois ans. "Je suis le chemin tracé par Oussama Ben Laden", avait-t-il expliqué dans un entretien accordé à l’Express, en janvier 2012. En 2011, Gilles Le Guen s’installe à Tombouctou, au Mali, avec son épouse marocaine et ses cinq enfants. Il poursuit sa radicalisation et suit un entraînement militaire. Il va même jusqu'à donner l’une de ses filles, encore adolescente, en mariage à un jihadiste

Pour Serge Daniel, le correspondant de FRANCE 24 et de RFI à Bamako, il ne semblait pas cependant être "un véritable endoctrineur" : "Quand je l’ai rencontré, c’était un simple berger qui se déplaçait en moto, il élevait des chèvres et s’occupait de la distribution de l’énergie, notamment de l’électricité, à Tombouctou", raconte le journaliste, qui l’a rencontré avant l’opération Serval, lorsque Tombouctou était encore occupée par les islamistes.

À couteaux tirés avec Aqmi

En janvier 2013, Gilles Le Guen est soupçonné d'avoir participé à la meurtrière prise d'otages sur le site gazier d'In Amenas, en Algérie, mais aucune preuve ne permet d’établir son implication. Selon un policier spécialisé dans la lutte contre le terrorisme, sa participation est peu probable car il serait considéré comme un "élément peu fiable" par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Les responsables d’Aqmi à Tombouctou l’avaient d’ailleurs incarcéré deux semaines en novembre 2012, le soupçonnant d’être un espion. D’autres sources, en revanche, pensent qu’il avait froissé les leaders d’Aqmi en voulant empêcher des jihadistes de malmener un groupe de femmes dans les rues de Tombouctou.

Lorsqu’ils l’arrêtent en avril 2013, les forces françaises ne trouvent pas un combattant mais un homme fatigué. "Il n’était pas du tout en position de combat lorsque les forces françaises l’ont trouvé. Ce n’est pas un jihadiste sur le front qui a été arrêté, c’est un homme qui était plutôt fatigué. Je dirais même que c’était un fugitif," estimait alors Serge Daniel. Qui est donc Gilles Le Guen ? Entre le paumé, le marginal anti-impérialiste, Abdel Jelil le combattant islamiste, ou le berger fatigué qui cherchait à se rendre, c'est au tribunal correctionnel de Paris de trancher.