Comment se finance et comment fonctionne la secte islamiste nigériane Boko Haram, qui multiplie, depuis son fief situé dans le nord-est du Nigeria, les raids meurtriers dans des pays limitrophes ? Décryptage.
Le mode de fonctionnement de la secte islamiste nigériane Boko Haram, qui sème une terreur transnationale à partir de ses fiefs du nord-est du Nigeria, reste très opaque. En effet, ses effectifs, son organisation interne et son financement restent flous, de l’aveu même des experts et des militaires. Seule sa capacité à attaquer simultanément sur plusieurs fronts au prix de pertes considérables et son arsenal conséquent sont bien connus.
Ainsi, comme l’ont démontré les événements sanglants de la semaine écoulée, le groupe islamiste peut frapper simultanément, avec des méthodes variées, à des endroits très éloignés : attentats-suicides au Nigeria, au Tchad avec des pirogues, assauts terrestres au Niger, au Cameroun et au Nigeria.
Au fil des années (l'insurrection lancée par la secte a commencé en 2009, faisant depuis au moins 13 000 morts et 1,5 million de déplacés seulement au Nigeria), Boko Haram a accumulé un stock d'armes impressionnant : lance-roquettes, blindés, canons, mortiers, munitions, armes, engins explosifs variés.
Pour les militaires, l'arsenal de Boko Haram provient essentiellement de l'armée nigériane. "Beaucoup de leurs outils de combats appartiennent aux militaires nigérians qui les ont abandonnés en désertant leur positions", confiait en début de semaine, agacé, un officier supérieur de l'armée camerounaise à l'AFP.
Trafics d'armes
"Pour les armes, une partie a été visiblement récupérée lors d'attaques contre des détachements militaires nigérians, mais je pense qu'il y a plus que ça. Il y a des achats d'armes", relève de son côté Cédric Jourde, chercheur spécialiste de la région à l'université d'Ottawa.
Effectivement, depuis des mois, Tchadiens et Camerounais ont considérablement renforcé les contrôles à leurs frontières pour empêcher les infiltrations de Boko Haram mais aussi le trafic d'armes en provenance de Libye à destination des islamistes.
Bien équipés, les hommes de Boko Haram sont aussi généralement très nombreux lorsqu'ils lancent leurs raids. Et ils enregistrent des pertes énormes. Les bilans militaires officiels des armées engagées dans la guerre font régulièrement état de dizaines, voire de centaines de tués dans les rangs de la secte. L’armée nigériane a assuré avoir tué plus de 300 combattants de Boko Haram en reprenant cette semaine la ville de Monguno, dans l‘État de Borno, dans le nord-est du pays.
Ces bilans sont certes invérifiables de sources indépendantes, mais à plusieurs reprises ils ont été corroborés par des témoignages d'habitants recueillis par l'AFP. Pour supporter de telles pertes, de combien de combattants dispose Boko Haram ? Des estimations parcellaires avancent le chiffre de quelques milliers - de 4 000 à 6 000 combattants, selon le renseignement américain. Mais ces estimations cadrent difficilement avec la multiplicité des attaques, des pertes et de l'intensité du recrutement.
"Le nombre de combattants de Boko Haram est difficilement quantifiable. Certains experts l’évaluent à 30 000", confiait récemment à France 24 Pauline Guibbaud, auteure du livre "Boko Haram : Histoire d'un islamisme sahélien" (L’Harmattan) et chercheure-associée au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip).
Depuis des mois, des notables camerounais et nigériens des zones frontalières des fiefs du groupe font état de campagnes de recrutement - forcé ou moyennant finances - par les islamistes dans les villages. De fait, "il est très difficile d'avoir à ce sujet des informations fiables, puisque le terrain est pour les chercheurs, comme pour les journalistes, quasiment interdit d'accès", note Cédric Jourde. Et d’ajouter : "Je ne suis pas sûr que les services de renseignement en sachent beaucoup plus."
Enjeux financiers et politiques
L’opacité est également de mise pour le fonctionnement du groupe. Son chef, le fanatique Abubakar Shekau, apparaît certes régulièrement dans des vidéos incendiaires. Mais on ignore tout de l'organisation opérationnelle, de la coordination, en passant par la planification, à l’exécution des attaques.
Le chercheur canadien avance la possibilité d'"une nébuleuse, une constellation" de groupes ayant à un moment donné des intérêts communs dans un climat de violences exacerbé par la campagne électorale de la présidentielle, reportée au 28 mars.
"Le Nigeria est un pays extraordinairement complexe", rappelait récemment à l'AFP un responsable militaire occidental, ajoutant que "Boko Haram, c'est particulier" parmi les mouvements jihadistes. Le groupe joue sur les multiples enjeux de pouvoir au sein du pays le plus peuplé du continent africain : sur la traditionnelle fracture confessionnelle entre le Nord majoritairement musulman et le Sud majoritairement chrétien, mais aussi sur les rivalités et les enjeux politico-financiers locaux.
Dans ce registre, "des gens ayant des moyens économiques assez importants dans l'est du Nigeria contribuent d'une manière ou d'une autre à l'achat d'armement en faveur de Boko Haram", assène Cédric Jourde.
Avec AFP