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Cinéaste de l’absurde, le Français Quentin Dupieux poursuit son exploration du non-sens avec "Réalité", ludique fantaisie à la narration gigogne. Un exercice de style vain mais exécuté avec un plaisir communicatif.

Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent en salles. Cette semaine, le ludique "Réalité" de l’iconoclaste Quentin Dupieux, et le très controversé film de guerre "American Sniper" de Clint Eastwood.

La vie est un songe, le monde un théâtre, tout n’est qu’illusion. Voici peu ou prou ce que s’amuse à démontrer depuis plusieurs années le cinéaste français Quentin Dupieux depuis les États-Unis où il tourne désormais ses petites fantaisies de l’absurde avec le souci constant de se démarquer à tout prix. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil rapide sur la filmographie de l’iconoclaste cinéaste – également connu sous le nom de Mr. Oizo lorsqu’il officie comme musicien électro – pour se rendre compte de son inclination à produire du cinéma en rupture avec la convention : "Nonfilm" (son premier, 2001), "Wrong" (2012), "Wrong Cops" (2014) et aujourd’hui "Réalité", dont on décèle d’emblée la portée ironique.

En résumer l’histoire relève en tous cas de la gageure. Caméraman tête-à-claque et sans envergure, Jason Tantra (Alain Chabat) rêve de tourner un film d’horreur dans lequel les postes de télévision tueraient les hommes. Le producteur Bob Marshal (Jonathan Lambert) accepte de financer son projet à la seule condition que Jason lui offre le plus beau gémissement de l’histoire du cinéma.

Voilà pour le point de départ du récit sur lequel vont se greffer rapidement des histoires parallèles : une petite fille prénommée Réalité (Kyla Kenedy) trouvant une mystérieuse cassette vidéo dans les entrailles d’un sanglier, un présentateur télé (Jon Heder) pris d’urticaire invisible, un directeur d’école bourru (Eric Wareheim) conduisant une jeep dans des vêtements de femme. Tous ces personnages sont liés sans qu’on sache s’ils sont le résultat d’un rêve, d’un autre film ou d’un esprit schizophrène ("Je pense que nous sommes la même personne", confie le présentateur télé à Jason).

Un démiurge qui aurait perdu les pédales

Qui est le fruit de l’imagination de qui ? Peu importe. L’enchevêtrement des événements atteint une telle extrémité que quiconque voudra savourer le film sera tôt ou tard contraint de lâcher prise. Pour Quentin Dupieux, l’enjeu n’est d’ailleurs pas tant de mettre en place une complexe machination narrative à la "Inception" que de jouer, tel un démiurge qui aurait perdu les pédales, avec la nature illusionniste du septième art.

L’exercice de style peut paraître un peu vain mais est exécuté avec un réel (si on peut dire) plaisir communicatif. Là où "Wrong" se vautrait prétentieusement dans l’absurde pour l’absurde, "Réalité" assume un amour du cinéma. On ne compte pas les clins d’œil adressés aux genres (film d’épouvante du tournant des années 1980-1990) et aux auteurs qui constituent le Panthéon personnel de Quentin Dupieux (les David Lynch, David Cronenberg et Brian de Palma de ces mêmes décennies). Mais aussi les coups de griffe portés aux statues de commandeur. "Stanley Kubrick, mes couilles !", balance plusieurs fois Jason comme une libération. Cela ne mange pas de pain, mais cela fait sûrement du bien. 

-"Réalité" de Quentin Dupieux, avec Alain Chabat, Jonathan Lambert, Eric Wareheim, Élodie Bouchez... (1h27).