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Le président est apparu jeudi dans une vidéo décalée, publiée sur le site Buzzfeed, coqueluche actuelle des réseaux sociaux. Objectif : promouvoir sa réforme de la couverture santé "Obamacare", emblématique de son second mandat.

Le président des États-Unis vient encore de prouver qu’il incarnait le "cool", et qu’il savait faire le buzz. Pour promouvoir l’Obamacare, sa grande réforme du système de santé public américain, il a publié jeudi 12 février sur le site Buzzfeed une vidéo surprenante. Il y apparaît dans des situations faussement gênantes et savamment mises en scène à l’intérieur même du bureau ovale, sans jamais se départir de son flegme. En quelques heures, le million de vues a été dépassé.

Dans cette parodie intitulée "Les choses que tout le monde fait mais dont il ne parle jamais", le président des États-Unis joue la proximité avec le spectateur et parvient à faire croire qu’il est, somme toute, un homme comme un autre. Doté toutefois d’un solide sens de l’humour.

Ainsi est-il montré en train de répéter devant sa glace avant une prise de parole importante, de faire des clins d’œil à son reflet, de prendre des poses ridicules quand il essaie une nouvelle paire de lunettes de soleil. Ou encore de se rêver en star du basket et mimer des paniers imaginaires, seul dans son bureau, quand personne n’est là pour le voir. Et qui lui donne la réplique ? Andrew Ilnyckyj, star des réseaux sociaux aux États-Unis, dont les vidéos attirent des millions d’internautes.

Ça n’est évidemment pas pour l’unique plaisir de faire le "pitre" devant une caméra - même s’il semble bien s’amuser - que Barack Obama a choisi, comme il le fait régulièrement, de verser dans une communication décalée. La vidéo lui sert à rappeler à ses concitoyens la date-butoir du 15 février, avant laquelle ils doivent s’inscrire en ligne pour bénéficier de l’Obamacare, ce programme emblématique du second mandat du "Prez".

Obamacare, il y a urgence

Si Barack Obama est sur tous les fronts pour défendre sa réforme du système de santé, c’est d’abord parce qu’elle est très contestée. "Les Républicains continuent à s’y opposer violemment et assurent qu’ils l’abrogeront s’ils obtiennent la présidence en 2016. Par ailleurs, le nombre d’inscrits est toujours en-deça des prévisions : certains hésitent, d'autres ont été rebutés par les problèmes d’accès au site lorsqu’il a été ouvert. Or ne pas mobiliser suffisamment pour cette réforme emblématique de son dernier mandat serait un échec pour Obama", analyse Philippe J. Maarek, auteur de "Communication et marketing de l'homme politique" (Lexis Nexis, 4e édition en 2014).

Alors, ces derniers mois, le président américain a mouillé sa chemise ici ou , dans des talk-shows et des programmes comiques très regardés où il a, encore une fois, joué l’autodérision. L’objectif est clair : se montrer proche de ses concitoyens et toucher un public qui n’est pas du tout politisé. "Obama n'a jamais hésité à donner de sa personne, depuis le tout début de son chemin vers la présidence : en 2008 on le voyait ainsi danser sur le plateau d'Ellen de Generes", rappelle Phlippe J. Maarek.

Eisenhower, roi du clip politique

Un chef d’État en phase avec les canaux de communication de son temps donc, mais qui n’a rien inventé. Pour Philippe J. Maarek, la mise en scène, l’humour, les séquences courtes sont des éléments typiques de la communication politique américaine. Cette culture est bien antérieure à l’élection en 1980 du président républicain Ronald Reagan, ancien acteur, célèbre pour ses rôles de cowboy.

"L'utilisation de clips politiques courts et parfois humoristiques est un phénomène classique aux États-Unis, ça n’a rien de nouveau, explique-t-il. Le clip politique a été inventé en… 1952 ! On a alors décidé pour aider la campagne d'Eisenhower de préparer de courtes séquences de 30 ou 45 secondes, qui ont pu être insérées parmi les réclames habituelles à des heures de grande écoute. Les longues émissions politiques d'une heure ou plus qui existaient avant cela étaient beaucoup moins regardées."

Reste que si Obama bluffe souvent par l’aisance avec laquelle il se prête au jeu, gare au systématisme, car la fonction peut en prendre un coup. "À court terme, cela semble intéressant, mais sur le long terme, cela peut nuire à l’image d’un homme politique et peut contribuer à désacraliser la fonction. On l’a par exemple vu en France avec Georges Marchais, qui de plaisanterie en plaisanterie a perdu du crédit."

Avouez, vous avez cliqué

Au-delà du contenu, le choix du média dénote également cette volonté d’élargir l’audience classique du président américain. Buzzfeed, créé en 2006 aux États-Unis, affiche 150 millions de visiteurs uniques par mois à travers le monde. Le site, spécialisé dans les contenus accrocheurs, drôles ou mignons, parfois débiles, présentés sous forme de listes, est un aimant à clics. "Les 26 signes qui démontrent que vous avez trente ans", "Les 85 tweets les plus drôles de tous les temps", "Trente-deux vrais sosies de célébrités" : avouez, vous avez cliqué… et peut-être même partagé une de ces drôles de listes sur un des nombreux réseaux sociaux ? C’est d’eux que Buzzfeed tire 75 % de son audience. Et c’est d’ailleurs via Facebook que nombre de gens ont découvert hier la vidéo de Barack Obama.

Cette connaissance et cette exploitation intelligente des réseaux sociaux n’a rien d’étonnant pour un président qui, dès 2008, s’est entouré d’une équipe de campagne spécialisée dans la question. Obama, c’est le président qui tweete lui-même, et annonce sa victoire en 2012 sur Twitter, d’un désormais célèbre "Four more years" (quatre années de plus).

Et en France ?

Les locataires qui se sont succédé à l’Élysée n’ont pas pour l’instant usé autant des réseaux sociaux. Si on voit mal François Hollande lancer des vannes face caméra pour soutenir la loi Macron, Philippe J. Maarek n’exclut pas que ce type de communication politique soit un jour importée en France. "Les présidents français ne jouent pas encore sur le terrain de l’autodérision, mais Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont, volontairement ou non, fait de leur vie privée un élément de leur communication. L’autodérision c’est le stade suivant, on n’en est finalement pas loin."