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"Eden" et "L'Oranais" : la French Touch et l'Algérie font leur révolution

Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent sur les grands écrans de l'Hexagone. Cette semaine, deux histoires de révolution. L’une musicale avec "Eden" de Mia Hansen-Løve, l’autre algérienne avec "L’Oranais" de Lyes Salem.

  • "Eden" : le charme discret de la French Touch

Il était un temps pas si éloigné où la France régnait sur le monde de la musique. Nous étions dans les années 1990 où l'avènement des synthétiseurs et des ordinateurs personnels permit à des artistes comme Mr. Oizo, Air, Cassius, Étienne de Crécy et surtout Daft Punk de défier leurs confrères anglo-saxons sur ce qu'on pensait être leur terrain de jeu exclusif : l'électro. Pour la première fois depuis bien longtemps, Paris devenait l'épicentre d'un mouvement musical internationalement reconnu : la fameuse "French Touch".

Avec de tels états de service, le cinéma français pouvait bien lui rendre les honneurs du grand écran. C'est désormais chose faite avec "Eden", pudique et mélancolique chronique de Mia Hansen-Løve sur ces années d'euphorie créatrice.

Depuis "Le Père de mes enfants" (2009) et "Un amour de jeunesse" (2011), on connaît l’appétence de la cinéaste française de 33 ans pour les passions brûlantes. Mais aussi son refus de l'esbroufe à tout crin. Fidèle à sa ligne de conduite, la réalisatrice, dont c'est ici le quatrième long métrage, aborde son sujet à la marge, à quelques pas de danse des feux de la rampe où des DJ parisiens, tel son frère Sven Løve dont la vie a inspiré le film, ont pris discrètement mais sûrement part à l'émergence de la French Touch. En clair, l'histoire qui intéresse Mia Hansen-Løve, c'est celle des seconds couteaux qui, comme Paul (Félix de Givry), le personnage central, ne sont mus que par la seule volonté de faire découvrir leur musique.

On reprochera certainement à la réalisatrice de s’être concentrée sur les atermoiements de seconde main pour raconter de l’intérieur l’avènement d'un des plus grands mouvements musicaux que la France n'ait jamais produit. Pas assez d’épaisseur, pas assez de souffle, pas assez d’exaltation. Elle aurait pu nous gratifier d’un biopic sur Daft Punk, mais à quoi bon ? Qu’est-ce que la vie du duo casqué nous aurait finalement dit de plus sur cette parenthèse enchantée ?

"Eden" n'est pas un film incandescent sur une jeunesse qui se serait brûlée les ailes au contact du succès. Paul est d'ailleurs un adolescent banal. Il n’est pas un prodige de la musique, ne joue pas d’instrument et ignore certainement tout du solfège. Son truc à lui, c'est le "garage", branche de la house music qu'il a découvert dans les raves et entend bien populariser auprès du public parisien. Au sein du duo Cheers qu'il forme avec Stan (Hugo Conzelmann), il s'embarque alors corps et âme dans l'aventure, consacrant l'intégralité de son temps à l'organisation de soirées, d'abord à Paris, puis à Chicago, à New York...

L’une des réussites du film est de dépasser les clichés qui pèsent sur le monde de la nuit. Certes, on se drogue, on boit, on ramène des filles dans sa chambre de bonne, mais pas seulement. À la manière d'un documentaire "dans les coulisses de", "Eden" s'attarde sur les temps morts qui précèdent l'effervescence de la nuit. Quand ils ne sont pas derrière les platines, ces artisans de la French Touch font dans la logistique, impriment des flyers, négocient avec l’aide de leur manager (Vincent Macaigne) leurs tarifs auprès des patrons de boîtes, dressent des bilans comptables - souvent désastreux -, gèrent les caprices des stars de la house qu'ils ont fait venir des États-Unis.

Plus qu'une leçon d'histoire musicale contemporaine, "Eden" est une épopée intime au cœur d’un paradis perdu. Celui de Paul et de toute une faction de musiciens anonymes qui, dans l’ombre du génie des Daft Punk (que l’on voit dans le film sous les traits d’Arnaud Azoulay et Vincent Lacoste), a mené une révolution sans utopie. Des héros bien discrets pour qui le grand soir n'était qu'une gigantesque fête sur un dancefloor. Et ont compris trop tard que la nuit n'était pas éternelle.

Car en visant sa cible, Paul a raté tout le reste. Ses études, ses amours, sa vie d'adulte. Passé à côté du succès faute d’avoir su se renouveler, peut-il encore se bercer d’illusions ? Ou regagner le rang d’un projet viable ? C’est aussi cela "Eden", une vie prise entre deux feux. "Caught in the Middle", chantait la diva house Juliet Roberts.

-"L’Oranais" : l’autre versant de la guerre d’Algérie

C’est une révolution avec un grand R que le réalisateur franco-algérien Lyes Salem évoque quant à lui dans "L’Oranais". Celle menée par les combattants de la "libération nationale" durant la guerre d’Algérie. Fresque historique parfois trop académique dans sa mise en scène, "L’Oranais" a toutefois le mérite de se pencher sur un sujet rarement traité au cinéma : les premières années d’indépendance d’une Algérie libérée du joug colonial. Une parenthèse enchantée, là aussi, qu’il brosse à hauteur d'hommes, sans manichéisme et avec beaucoup d’humour.

Une liberté de ton qui, en Algérie, a suscité la colère de certains chefs religieux et responsables nationalistes qui y ont vu une atteinte aux héros de l’indépendance sinon une apologie du colonialisme…

Relire notre critique parue le 13 novembre.

-"Eden", de Mia Hansen-Løve, avec Félix de Givry, Hugo Conzelmann, Vincent Macaigne, Pauline Etienne, Greta Gerwig…

-"L’Oranais", de et avec Lyes Salem, avec Khaled Benaissa, Djemel Barek, Najib Oudghiri, Sabrina Ouazani…