Blaise Compaoré, le médiateur privilégié des crises en Afrique de l'Ouest, n’a pas résisté au vent de révolte qui a soufflé sur son pays ces derniers jours. Il a démissionné vendredi, au terme de 27 ans passés à la tête du Burkina Faso.
Plus de la moitié des Burkinabè n’ont connu que lui au pouvoir. À 63 ans, Blaise Compaoré, qui venait tout juste d’entamer sa 28e année au palais présidentiel de Kosyam, a été chassé du pouvoir au terme de plusieurs jours de contestation contre son régime.
Arrivé au pouvoir à la faveur du coup d’État contre son ancien frère d’armes Thomas Sankara en 1987, "Blaise", comme l’appellent ses pairs africains, n’avait pas prévu une telle fin de règne. Malgré deux septennats (1992-2005) puis deux quinquennats (2005-2015), il souhaitait se maintenir à la tête du Burkina Faso après la fin de son mandat en décembre 2015, en révisant la Constitution.
C’est cette volonté de s’accrocher au pouvoir qui a finalement eu raison de son régime en suscitant l’ire de l’opposition, des syndicats, d’une grande partie de la société civile et de la jeunesse de ce pays où plus de 60 % des 17 millions d’habitants ont moins de 25 ans. Fait rare au Burkina Faso, plusieurs dizaines de milliers de personnes s’étaient rassemblées, le 28 octobre, dans les rues de la capitale Ouagadougou pour demander au régime de renoncer à son projet.
Au-dessus de la foule de protestataires s’élevaient des milliers de pancartes exigeant du président qu’il se plie à la Constitution : "27 ans, c'est assez", "Judas, libérez les lieux" ou encore "Blaise dégage". Trois jours plus tard, Blaise Compaoré s’est résigné à lâcher prise au profit de l’armée qui a pris les commandes du pays.
Agitateur devenu pacificateur
Chef d’État aussi discret qu'insondable, le doyen des dirigeants ouest-africains s’est longtemps posé en garant de la stabilité, non seulement dans son pays mais aussi dans les pays d'Afrique de l'Ouest. Après avoir, pendant des années, traîné l’image d’un putschiste boutefeu toujours prompt à choyer tout ce que la sous-région comptait de rebelles (Charles Taylor au Liberia, Guillaume Soro en Côte d’Ivoire), Blaise Compaoré a su se forger au fil des ans une stature d’homme de paix. À la tête d’un pays n’ayant connu aucun coup d’État en deux décennies, il fut ainsi appelé à jouer les facilitateurs dans les crises récentes qui ont agité la sous-région. La médiation de la crise togolaise en 2006 ? C’est lui. Celles des crises ivoiriennes (à partir de 2004), guinéennes (2009) et maliennes (2012) ? Encore lui.
Parce que les missions de "Monsieur bons offices" furent pour beaucoup couronnées de succès, la France l’aurait proposé, dit-on, pour succéder à Abdou Diouf à la présidence de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Une porte de sortie que l’intéressé a gentiment refusé de prendre.
Foi en l'avenir
Rassuré par ses succès passés, l’homme ne semblait pas effrayé par l’avenir. Car, jusqu’à sa chute, actée ce 31 octobre, Blaise Compaoré s’était toujours sorti indemne, ou presque, des mouvements de protestation qui ont secoué le pays des Hommes intègres.
Les émeutes ayant suivi l'assassinat, en 1998, du journaliste Norbert Zongo qui enquêtait alors sur la mort mystérieuse du chauffeur de François Compaoré, le frère du président, avaient à peine fait vaciller son pouvoir. Il faudra l’onde de choc du printemps arabe en 2011 pour que le palais de Kosyam prenne un peu plus la mesure du danger des colères qui couvent. Comme portés par le vent de liberté soufflant depuis la Tunisie, des milliers d’étudiants étaient sortis dans la rue pour protester contre la répression policière, la vie chère et la corruption.
Dans la foulée, de jeunes éléments de l’armée se sentant inconsidérés avaient déclenché une violente mutinerie, obligeant le chef de l’État à quitter la capitale. Les autorités sont toutefois parvenues à éteindre les braises à coups de limogeage, de libération et d’ouverture d’enquête. Un avertissement qui n’aura pas été entendu à temps par "Blaise".