Quinze ans après la signature d'un accord de paix, la capitale nord-irlandaise a connu une profonde mutation, mais les divisions persistent entre communautés catholique et protestante.
Pour comprendre à quel point les "Troubles" ont modelé la société nord-irlandaise, nul besoin d’ouvrir un livre d’histoire. Une promenade dans les rues de Belfast, véritable musée à ciel ouvert, s’avère bien plus efficace.
Il y a bien sûr ces immenses fresques murales qui célèbrent les acteurs du conflit, visibles partout dans la ville. Un moyen diablement efficace de savoir si vous visitez un quartier à majorité protestante ou catholique, loyaliste ou républicain.
Les touristes choisissent souvent d’embarquer à bord des célèbres "Black Taxis" pour faire le tour de ces fresques. À la clé, un décryptage par des guides qui ont eux-mêmes connu les "Troubles". Certains y ont même activement participé. Pour ceux qui veulent revivre au plus près le conflit, d’anciens paramilitaires des deux camps offrent aussi leurs services. Parmi eux, d'anciens prisonniers de l’IRA (Irish Republican Army, l'Armée républicaine irlandaise) font visiter West Belfast à grand renfort d’anecdotes personnelles.
En 1998, la paix faisait officiellement son retour avec la signature de l’accord du Vendredi Saint. Il aura fallu trois décennies d’affrontements et plus de 3 500 morts. Depuis, les ennemis d’hier gouvernent ensemble au sein d’une assemblée et d’un exécutif mixtes.
Deux partis dominent la scène politique : le Sinn Fein, ancienne aile politique de l’IRA, et les unionistes du DUP, fondé par Ian Paisley, décédé il y a peu. Malgré des crises majeures, les nouvelles institutions ont connu une relative stabilité ces dernières années.
Mais les clivages du passé n’ont pas totalement disparu. Des dizaines de "murs de la paix" - bien mal-nommés - continuent de diviser catholiques et protestants à Belfast. Entre eux, des kilomètres de béton, de grillages et de barbelés construits pendant les violences sectaires pour prévenir les affrontements entre les deux communautés.
Dans certains quartiers, ces murs sont toujours le théâtre de tensions quotidiennes. En atteste celui qui sépare le bastion loyaliste d'East Belfast de la petite enclave catholique de Short Strand. Des projectiles en tous genres sont régulièrement lancés des deux côtés, rendant impossible la vie aux habitants.
En Irlande du Nord, la ségrégation s'étend souvent jusqu'aux bancs d’école. L’immense majorité des enfants auront des camarades de classe de la même religion qu’eux. Seuls quelques rares établissements tentent de faire bouger les lignes, et accueillent à la fois catholiques et protestants.
Il faut attendre l’université pour que la mixité devienne la règle. À Queen’s University, dans le sud de Belfast, les étudiants disent vivre cette transition sans difficulté. Ces jeunes, qui ont grandi après "les Troubles", portent un jugement sans concession sur leur société. Ils ont conscience du chemin parcouru, mais pour eux, il est temps de tourner définitivement la page des années noires.