Amoureux des lettres, le journaliste et chroniqueur littéraire Bernard Pivot a rencontré à plusieurs reprises Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 2014. Il se félicite d’un tel choix et livre ses impressions sur l’homme et l’auteur.

France 24 : Avez-vous été surpris par l’attribution de cette récompense prestigieuse à Patrick Modiano ?

Bernard Pivot : J’ai été très agréablement surpris, car le dernier prix Nobel attribué à un auteur français remonte à six ans. J’ai toujours pensé que Patrick Modiano était tout à fait digne de recevoir une telle distinction, mais je ne croyais que cela arriverait aussi vite. En distinguant un tel auteur, l’Académie suédoise a fait un choix purement littéraire, ce qui me réjouit car elle a parfois récompensé des écrivains qui relevaient de l'ethnologie ou de la politique. En outre, je constate qu’en couronnant l’œuvre de Modiano, ce Nobel couronne aussi la ville de Paris. En effet, la capitale est le cadre d’une part essentielle de son œuvre, comme "Quartier perdu", entre deux immeubles, entre deux rues, deux places, ou entre deux cafés parisiens.

Vous avez invité à plusieurs reprises cet auteur dans vos émissions. Que pouvez-vous dire sur l’homme ?

Il n’a pas pu échapper aux téléspectateurs d’Apostrophe ou de Bouillon de Culture [les émissions littéraires animées par Bernard Pivot, NDLR] que Patrick Modiano a des difficultés à s’exprimer, commençant parfois des phrases sans les terminer. Mais indéniablement, il se dégageait de ces conversations heurtées le même charme et la même force qui se dégagent de ses livres. Ce qui, avec le recul, était un phénomène tout à fait étonnant. Simple, naturel, son charme envoûtant agit avec une puissance remarquable. Il faut lire n’importe lequel de ses romans, qui ne se ressemblent pas, mais qui ont le même charme.

Patrick Modiano est le 15e auteur français distingué par un Nobel de littérature. Est-ce un score honorable vu la richesse de la littérature française ?

Je pense que c’est inespéré ! L’Académie suédoise a de tout temps été francophone et francophile, puisqu’elle n’a cessé de récompenser les auteurs français. Aucun autre pays que la France n’a été autant distingué. Nous détenons un record du monde en la matière, ce qui nous vaut de l’admiration dans le monde entier. Certains pays, possédant de très beaux auteurs, attendent toujours leur premier Nobel. L’Académie suédoise a toujours été très sensible et attentive à ce qui se passe en France. D’ailleurs, comme un symbole, le premier auteur jamais récompensé est un français, Sully Prudhomme.