
Face à l’absence de traitement, un médecin libérien a testé sur des malades d’Ebola un antirétroviral administré pour lutter contre le VIH. Une démarche discutable mais "compréhensible", estime le professeur Delfraissy, spécialiste du sida.
À situation désespérée, mesure désespérée, se défend le docteur Gobee Logan. Désemparé face aux ravages d’Ebola en Afrique de l’Ouest et face au désert thérapeutique entourant cette maladie qui a déjà décimé plus de 3 000 personnes depuis le mois de mars, Gobee Logan, un médecin libérien a récemment "testé" sur ses patients du lamivudine ou 3TC, un antirétroviral délivré pour soigner le VIH, le virus du sida.
Expérience dangereuse ou découverte miraculeuse, il n’empêche que les résultats de cette tentative médicale se sont révélés surprenants. Sur les quinze patients ayant reçu l’antirétroviral, douze survivent. Ils avaient pris le médicament entre le 1er et le 5e jour ayant suivi l’apparition des premiers symptômes. Les deux autres malades, qui ont succombé à la maladie, l’avaient reçu entre le 8e et 10e jour.
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"Aujourd’hui, je me sens bien", raconte une des patientes du docteur Logan interrogée, sans masque ni protection, par la chaîne américaine CNN. Éthiquement parlant pourtant, le docteur libérien a procédé à un acte médical hautement discutable. Il est conscient d’avoir administré un médicament, sans être passé par des essais cliniques, sans avoir suivi de protocole médical, et sans avoir eu le recul nécessaire face à d’éventuels effets secondaires. "Vous parlez d’études et de recherches alors que tout le monde meurt, ici !", se défend-t-il auprès de CNN. "Je fais absolument tout ce que je peux en tant que médecin pour sauver ces vies. Je devais essayer quelque chose !"
"Je peux comprendre ce médecin libérien"
Dans son centre sanitaire sommaire, construit à Tubmanburg (au nord-ouest du Liberia), il doit veiller avec sa petite équipe sur près de 85 000 personnes. C’est en tâtonnant que le docteur Logan a découvert les vertus supposées du lamivudine sur Ebola. Au départ, raconte-t-il à CNN, il avait essayé de traiter un malade en lui administrant de l’acyclovir, un autre médicament utilisé dans le traitement anti-sida, sans succès.
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Pour le professeur Jean-François Delfraissy, spécialiste du VIH et directeur de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), cet essai médical spontané est "compréhensible". "Il ne faut pas donner de faux espoirs […] mais dans la situation où nous sommes, face à une maladie orpheline de traitement, je peux comprendre le geste de ce médecin libérien", explique-t-il.
D’ailleurs, reconnaît-il, les résultats de ce test sont "inattendus mais pas complètement aberrants". "On a un peu de mal à comprendre comment le lamivudine a pu agir. On sait que cet antirétroviral - utilisé par des millions de personnes - agit aussi sur l’hépatite B. Mais le virus Ebola et le virus du sida sont très différents", confesse ce grand ponte de l’immunologie, en précisant que ses équipes travaillent en ce moment même, en laboratoires, sur l'hypothèses émise par le docteur Logan.
Et si cette hypothèse se révèle concluante, la nouvelle serait particulièrement réjouissante pour lutter contre l’épidémie de fièvre hémorragique. Contrairement à la mise au point d’un sérum, dont la mise sur le marché prendrait du temps et dont les quantités seraient limitées, "le 3TC existe déjà en Afrique. Tout le monde sait que ce médicament existe et qu’il est disponible. On pourrait donc en obtenir très vite et en quantité importante", précise encore Jean-François Delfraissy.
Des patients survivent à Ebola grâce à un traiement anti-sida (CNN)