L'élimination de la direction d'Ahrar al-Cham, l'un des plus importants groupes rebelles islamistes qui opère en Syrie, dans un attentat perpétré le 9 septembre bouleverse la donne. Décryptage.
Ahrar al-Cham, un des premiers groupes de rebelles islamistes ayant vu le jour en Syrie, est décapité. Un attentat, perpétré le 9 septembre, a tué au moins 47 hauts responsables du groupe dont l'émir Hassan Abboud, plusieurs commandants militaires et autres idéologues religieux réunis dans la province d'Idlib (nord-ouest de la Syrie). La rencontre était pourtant organisée dans le plus grand secret.
Les origines de l'explosion ne sont pas claires. Toutefois, des sources rebelles ont évoqué une bombe placée à l’intérieur de la bâtisse ou dans une maison adjacente. Toujours est-il qu’il s’agit de l'attentat le plus meurtrier qui a jamais visé un groupe d'insurgés aussi important depuis le début de la crise en Syrie, en mars 2011. Mercredi 10 septembre, l’organisation s’est empressée de se doter d’une nouvelle direction, formée de seconds couteaux et écarté ainsi tout risque de désintégration.
"Cet attentat est un évènement majeur qui rebat les cartes des groupes islamistes en Syrie, explique Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes. Et pour cause, il affaiblit durablement l’un des groupes rebelles les plus cohérents idéologiquement et l’un des mieux équipés et compétents militairement. En outre, sur l’échiquier syrien, l’attaque contre Ahrar al-Cham atteint d’une certaine manière le Qatar et la Turquie, deux pays comptés parmi les soutiens de ce groupe".
"Des combattants désespérés"
Selon Naji Malaeb, un général libanais expert en stratégie militaire interrogé par France 24, il s’agit également "d’un coup très dur" porté au Front islamique. Ce groupe est une alliance rebelle positionnée entre les modérés de l'Armée syrienne libre (ASL), soutenue par l'Occident, les jihadistes du Front al-Nosra, branche officielle d’Al-Qaida en Syrie, et l'EI. Ahrar al-Cham est le principal pilier de cette alliance. Charles Lister, chercheur à la Brooking Doha Center et également expert du conflit syrien, a confié à l’AFP que "le Front islamique est dans une situation désespérée".
Désireux de créer une théocratie en Syrie, proche d'Al-Qaïda et soutenu financièrement par des pays du Golfe, spécialement le Qatar, Ahrar al-Cham a été fondé par d’anciens prisonniers politiques islamistes et des vétérans de la guerre d’Irak, qui avaient pris les armes contre Damas dès 2011. La cellule a pu compter à différents moments du conflit entre 10 000 et 20 000 hommes répartis sur l’ensemble du territoire syrien.
Les combattants de ce groupe sont presque exclusivement syriens. Ces derniers se battent dans plusieurs régions du pays, et notamment à Idlib, Hama et Alep. Ahrar al-Cham, qui n’a jamais appartenu à l’ASL, dispose d’un agenda bien défini et d’institutions civiles et judiciaires ad hoc.
Une décapitation "bienvenue"
La décapitation du groupe profite à tout le monde en somme, et pas seulement au régime syrien, qu’Ahrar al-Cham voulait abattre, note Wassim Nasr. "Il sert aussi les intérêts des rebelles modérés, car ce groupe salafiste comprenait des membres proches d’Al-Qaïda avec lesquels ils ne pouvaient nouer d’alliance dans le cadre de la guerre qui se dessine entre modérés et jihadistes dans le nord de la Syrie". L’État islamique ne peut que se réjouir de cet attentat qui affaiblit sensiblement un rival de poids, et "car il considérait que ce groupe était à la tête de ses ennemis, à savoir ceux qui s’opposait à la création d’un califat transnational", poursuit le spécialiste des mouvements jihadistes.
La fragilisation de ce groupe risque de provoquer le départ d’un grand nombre de ses combattants vers d’autres groupes rebelles. "Si quelques-uns d’entre eux sont tentés de rejoindre l’EI, la plupart d'entre eux n’hésitera pas à rejoindre le Front al-Nosra, vu la proximité idéologique d’Ahrar al-Cham avec la branche officielle d’Al-Qaida en Syrie", décrypte Wassim Nasr. "Ils ont d’ailleurs souvent combattus ensemble le régime syrien."