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Le président égyptien a dévoilé, mardi, son grand projet de construction d’un canal parallèle à celui de Suez. Un chantier qui devrait rapporter des milliards au pays et créer un million d’emplois. Une recette miracle pour l'Égypte ?

Le canal de Suez devrait bientôt voir double. C’est du moins ce qu’a promis le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Il a lancé, mardi 5 août, son grand projet de construction d’un petit frère à la célèbre route commerciale fluviale qui relit Port-Saïd à la ville de Suez. Cette initiative vise à désengorger le canal principal et augmenter les revenues que l’Égypte en tire.

Si le chef d’État égyptien a évoqué le creusement "d’un nouveau canal de Suez” à partir de 2015, le projet est quelque peu moins ambitieux. Il s’agit, en fait, d’une extension, “d’un deuxième tracé en parallèle au canal principal sur une portion afin de permettre aux bateaux de se croiser”, résume Sophie Pommier, directrice de Méroé Consulting, un cabinet de conseil sur le monde arabe. Le canal de Suez, dont la construction avait été achevée en 1869 mesure 162 km de long, tandis que le nouveau ne s’étendra que sur 72 km.

Passer à 13 milliards de dollars et créer un million d’emplois

Les autorités égyptiennes semblent penser que ce sera suffisant pour donner un coup de fouet à l’activité de la zone. Actuellement, plus de 500 000 tonnes de marchandises passent tous les ans par le canal de Suez, toujours aussi vital pour relier le marché européen à l’Asie. Ce trafic génère environ cinq milliards de dollars de revenus (3,74 milliards d’euros) en droit de passage pour l’État égyptien. Une manne absolument vitale pour le pays, économiquement sinistré depuis la révolution de 2011 et qui peine à faire revenir les touristes.

Problème : le nombre de navires empruntant le canal de Suez a chuté de plus de 3 % l’an dernier et les revenus sont également en légère baisse (-0,3 %). Le pouvoir espère que ce nouveau tronçon permettra d’atteindre à terme - d'ici cinq ans - une rente annuelle de 13 milliards de dollars (9,7 milliards d'euros).

Le gouvernement assure que ce projet permettra en outre de lutter contre le chômage qui touche officiellement plus de 13 % des Égyptiens. Il mise sur la création d’un million d’emplois nouveaux grâce à ce canal bis. L’activité économique devrait aussi bénéficier du développement de zones industrielles et de villes tout au long du tracé, soulignent les promoteurs du projet dans un article du “Egypt Oil & Gas Newspaper”, une publication anglophone spécialisée dans le secteur de l’énergie en Égypte. Les promesses de lendemains qui chantent sur le front de l’emploi sont de nature à faire du bien au moral d’un pays en crise, même si, comme le souligne Sophie Pommier, il “s’agit essentiellement d’emplois non-qualifiés”.

Pour le général al-Sissi et l’armée qui le soutient, le chantier du canal de Suez est aussi une manière de “renforcer le parallèle qu’ils veulent établir avec l’ère nassérienne [qui a nationalisé le canal de Suez en 1956, NDLR]”, explique Sophie Pommier.

Après le Qatar, l’Arabie saoudite ?

Sur le papier, le projet bénéficiera donc à tous. Mais “j’ai vu passer un grand nombre de projets de développement de la zone du canal de Suez après la révolution de 2011, et même dans les derniers temps de l’ère Moubarak, donc il faut attendre de voir ce qui va advenir de celui-ci”, prévient Sophie Pommier.

Le financement d’un chantier qui doit, d’après le gouvernement, coûter quatre milliards de dollars (trois milliards d’euros) représente le principal défi pour les autorités. Elles sont, d’ailleurs, restées particulièrement vagues à ce sujet. Le président Abdel Fattah al-Sissi a souhaité que tous les Égyptiens y participent au travers d’une souscription 100 livres égyptiennes (environ 10 euros) par citoyens. Mais même en cas de succès, cette levée de fonds serait loin de suffire. Et comme les caisses de l’État sont vides, le pouvoir risque de devoir s’adresser à de généreux donateurs étrangers.

D’où l’embarras des autorités d’en dire davantage. Le précédent projet d’extension du canal de Suez, lancé par le prédécesseur d’al-Sissi, Mohamed Morsi, avait capoté lorsqu’il était devenu évident que le Qatar servirait de tiroir-caisse. Pour le nouveau régime pas question de se tourner vers ce petit et très riche émirat, considéré comme le principal sponsor de la confrérie des Frères musulmans. Mais qui alors ?

Tous les regards sont tournés vers l’Arabie saoudite, qui est déjà venue à la rescousse de l’Égypte en 2013 en prêtant quatre milliards de dollars au pays. “Ce projet pourrait bien consacrer la proximité entre le pouvoir en Égypte et l’Arabie saoudite”, confirme Sophie Pommier. Selon ce scénario, les entreprises saoudiennes pourraient alors largement profiter du nouveau canal. Il serait, dans ce cas, loin d’être “la propriété des seuls Égyptiens”, comme l’a pourtant promis Abdel Fattah al-Sissi en présentant le projet.

L’autre gagnant évident du projet est l’armée égyptienne. C’est elle qui, pour des raisons de sécurité, est chargée de “superviser le chantier”. “Certains experts craignent que les militaires vont en profiter pour renforcer encore le contrôle qu’ils exercent sur la vie économique du pays”, souligne “Egypt Oil & Gas Newspaper”.

Pour Sophie Pommier, un canal bis n’est pas non plus le remède miracle pour l’économie égyptienne. “La relance de l’économie se fait un peu à l’ancienne, comme à l’époque de Nasser par de grands projets d’infrastructure”, souligne-t-elle. Le problème est que cette politique n’est pas, d’après elle, accompagnée par des mesures de modernisation des autres secteurs comme l’agriculture, le textile ou encore les nouvelles technologies.