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Une étude économique vient de démontrer scientifiquement que tous les dirigeants politiques du monde entier ont tendance à couvrir de leur largesse leur région de naissance. Une conclusion obtenue en étudiant l’intensité lumineuse des villes.

Il n’y a pas que Charlie Chaplin qui s’intéresse aux “Lumières de la ville”. Les économistes aussi. Leur idée générale est de corréler l’intensité lumineuse des zones géographiques et la croissance économique. Deux d’entre eux ont poussé, dans une étude parue mercredi 9 juillet, le travail plus loin pour s’intéresser à ce qu’ils appellent le “patronage politique”, autrement dit le favoritisme local des dirigeants politiques.

“On a tous le sentiment que les responsables d’un pays ont tendance à privilégier leur ville ou région natale, mais encore fallait-il le démontrer scientifiquement”, explique Roland Hodler, l’un des co-auteurs de l’étude et économiste à l’université de St Gallen en Suisse. Pour étudier cette question, Roland Hodler et Paul Raschky, économiste au centre de développement économique de Monash (Australie), ont trouvé un outil très simple : l’intensité lumineuse, vue du ciel et de nuit, de villes du monde.

La National Oceanic and Atmospheric Administration américiaine (NOOA) publie ce genre de données depuis 1992. Pendant quatre ans, les auteurs ont alors établi une carte de l’évolution de la luminosité régionale dans 126 pays.

Jusqu’à 9 % de croissance en plus

Un travail de longue haleine récompensé par une conclusion sans appel : tous les dirigeants politiques, dans les régimes autocratiques mais aussi les pays démocratiques, sont aux petits soins pour leur ville d’origine. “L’intensité lumineuse des villes et régions natales des dirigeants s’accentue à partir de leur prise de pouvoir et déclinait dès qu’ils quittaient leur fonction”, résume Roland Hodler.

Ces largesses sont même économiquement quantifiables. Les berceaux politiques bénéficient, en moyenne, d’une intensité lumineuse de 4 % supérieure et d’une croissance 1 % plus forte que le reste du pays. Reste que François Hollande n’est pas aussi généreux avec Tulle ou Rouen (son lieu de naissance) que Mobutu Sesé Seko avec Gbadolite. Il y avait construit un palais à 100 millions de dollars, un aéroport et fournissait à son fief historique la meilleure couverture possible en eau potable et électricité.

L’homme fort de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) de 1965 à 1997 est l’exemple extrême de patronage politique visible sur la carte élaborée par les deux économistes. “Dans les pays où les institutions démocratiques sont particulièrement faibles, la différence d’intensité lumineuse de la ville de naissance du dirigeant autocratique et des autres villes atteint 30 % et la région natale bénéficie de 9 % de croissance en plus, ce qui est énorme”, souligne Roland Hodler.

Au détriment des autres villes

C’est le cas pour Gbadolite mais aussi pour Hambantota, une petite ville de 10 000 habitants au Sri Lanka. Mahinda Rajapaksa, président du pays depuis 2005 y est né. L’étoile de cette commune brille dorénavant très fort dans le ciel sri-lankais. Et pour cause : ce généreux dirigeant y a fait construire un stade de cricket, un aéroport international et c’est cette ville côtière qui doit accueillir le plus grand port du pays.

“Ce qui m’a le plus étonné, c’est que ce favoritisme économique est loin d’être l’apanage des dirigeants africains, alors que généralement on ne parle que de ces exemples là”, remarque Roland Hodler. Ce phénomène est aussi très présent en Asie. Ce n’est pas une question de particularisme régional, mais essentiellement une conséquence de “l’absence d’institutions démocratiques fortes”, poursuit cet économiste.

Effet pervers de ce patronage politique : les autres villes et régions du pays reçoivent moins d’argent. Il y a un véritable effet de vase communicant. “L’intensité lumineuse faiblit dans les autres zones à partir de l’accession au pouvoir d’un dirigeant qui tend à fortement favoriser sa ville de naissance”, confirme Roland Hodler.

Cette étude ne sert pas uniquement à confirmer scientifiquement une intuition populaire. “Dans le cas de grands programmes d’aide au développement, ce genre de données peut permettre de mieux cibler les distributions d’argent”, explique Roland Hodler. Comprendre : en évitant les pays où l’argent est ensuite distribué aux heureux habitants de certaines villes.