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À Sarajevo, les Dragons ne font pas l'unanimité

L'équipe nationale de Bosnie-Herzégovine, qui participe cette année à sa première Coupe du monde, n'est soutenue quasiment que par les Bosniaques du pays, toujours en proie à des clivages politiques et ethniques. Reportage à Sarajevo.

Le football sait diviser. Dans la victoire, il sait aussi créer un élan d’unité. Mais en Bosnie-Herzégovine, l’équipe nationale ne semble pas (encore ?) parvenir à réconcilier un pays toujours en proie à ses clivages ethnico-politiques. Les résultats des Dragons, qui ont perdu la tête haute dimanche 15 juin face à l’Argentine (1-2) lors de leur premier match du Mondial, ne semble intéresser qu’une partie de ses habitants : les Bosniaques. Les Serbes du pays, eux, ne se passionnent pas pour cette Coupe du monde où ils ne se sentent pas représentés.

La qualification des Dragons au Mondial-2014 était pourtant un événement en soi. Née en 1992 après l'indépendance du pays, et affiliée à la FIifa depuis 1996, l’équipe participe au Brésil à sa première Coupe du monde. Elle avait échoué lors des deux dernières éditions - Mondial-2010 et à l'Euro-2012 - en barrages. L’événement a  été considéré par certains observateurs comme "le plus important dans la récente histoire du pays", toujours miné par la pauvreté et l’instabilité politique. Les bonnes âmes espéraient donc que l’équipe serait supportée par tous les citoyens de Bosnie, qu’ils soient Serbes, Bosniaques ou Croates.
Mais plus de 20 ans après la guerre (1992-1995), ce petit pays des Balkans, composé de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et de la République serbe de Bosnie, demeure profondément divisé. À Sarajevo, ville assiégée plus de 1 330 jours par les Serbes de Bosnie, le conflit reste ancré dans les esprits et la capitale demeure partagée entre entités serbes et bosniaques.  
"Mon équipe, c'est la Serbie"
Dimanche, seule une partie de Sarajevo arborait donc les couleurs jaune et bleu de l’équipe nationale. Dans l’est de la capitale, la partie serbe, aucun signe de soutien aux Dragons n’était visible. "Mon équipe nationale, c’est la Serbie... Elle ne joue pas. Je ne vois aucune raison de regarder", explique un homme au micro de FRANCE 24. "D'un point de vue sportif, je regarde l’équipe de Bosnie. Mais je ne vais pas supporter la Bosnie comme je suis supporter de Serbie, c'est quelque chose de différent", explique un autre.
Même dans les cafés sportifs où le ballon rond est roi, le manque d’engouement des Serbes du pays pour le premier match de la Bosnie était flagrant. "Si le match [Bosnie-Argentine, NDLR] avait commencé plus tôt, je l’aurais mis à la télévision comme n’importe quel autre match [le match a commencé à minuit, heure locale, NDLR]. Ici, c’est un bar où on regarde du football, et c’est seulement à ce titre qu’on aurait pu regarder le match de la Bosnie", explique Natko Sudzuka, propriétaire café. Natko reste prudent dans ces propos car dans les zones croates et serbes du pays, les supporters de l'équipe de Bosnie sont mal vus des nationalistes. En Bosnie, il est de bon aloi de soutenir la Croatie quand on est croate de Bosnie, et la Serbie quand on est Serbe.
Le football parviendra-t-il à surmonter les divisions ethniques du pays ? De bons résultats pourraient-ils créer une forme d’unité symbolique ? "L’avenir de la Bosnie est entre les mains de ses citoyens, pas entre les pieds d’Edin Dzeko [l'attaquant de l'équipe nationale, NDLR]", écrit sur Le Plus du Nouvel Observateur Loïc Trégourès, doctorant en sciences politiques, spécialiste des Balkans.