![Les prisons françaises, filière de recrutement des apprentis djihadistes Les prisons françaises, filière de recrutement des apprentis djihadistes](/data/posts/2022/07/19/1658222567_Les-prisons-francaises-filiere-de-recrutement-des-apprentis-djihadistes.jpg)
Mehdi Nemmouche, suspect de la tuerie au Musée juif de Bruxelles, a basculé dans l’islam radical lors de ses séjours en prison, selon sa famille. Lors de l'affaire Merah, les prisons avaient déjà été accusées d'être un terrain de radicalisation.
"Il faut agir". Lundi 2 juin, le ministre français de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a fait part de sa détermination à faire face à la radicalisation islamiste dans les prisons, trois jours après l’arrestation de Mehdi Nemmouche, suspecté d’être l’auteur de la fusillade au Musée juif de Bruxelles, le 24 mai. Nemmouche est en effet passé par la case prison avant de partir pour la Syrie et de passer à l’acte à son retour en Europe. Sa famille est convaincue que c’est là qu’il s’est radicalisé ; autorités et instances judiciaires semblent penser de même.
Délinquant multirécidiviste, Mehdi Nemmouche a été condamné à sept reprises et incarcéré cinq fois. D'après les autorités, c'est lors de sa dernière période de détention, dans le sud de la France, entre 2007 et 2012, que le suspect s'est radicalisé. Il s'était "illustré par son prosélytisme extrémiste, fréquentant un groupe de détenus islamistes radicaux et faisant des appels à la prière collective en promenade", a expliqué le procureur de la République de Paris, François Molins.
Dur constat pour le ministre de l’Intérieur, bien forcé d’admettre les défaillances du système carcéral. "La prison n'est pas là pour former des djihadistes mais il est vrai qu'en prison il y a la diffusion d'une pensée radicale", a expliqué sur Europe 1 Bernard Cazeneuve qui souhaite que "des imams formés qui savent ce qu'est l'islam, qui en ont la culture, aillent expliquer cela dans les prisons".
Des "dizaines de Nemmouche" en formation
La radicalisation tient, pour certains, du manque d’un encadrement religieux spécifique. "La prison reste un creuset de radicalisation dans le pays. Pourquoi ? Parce qu’on manque d’encadrement sur le plan religieux notamment", explique à FRANCE 24 Jean-Charles Brisard, consultant international, spécialiste du terrorisme. "Les jeunes qui arrivent en prison sont très rapidement la proie d’imams radicaux autoproclamés en l’absence d’encadrement spécifique", poursuit-il.
Mehdi Memmouche n’est pas le premier à faire les frais de leurs prêches sauvages. Avant lui, Mohamed Merah, auteur des tueries de Toulouse et de Montauban en mars 2012, et incarcéré pour un délit de droit commun, avait lui aussi basculé dans l’islam radical. Selon les chiffres avancés par l’administration pénitentiaire, 400 personnes se seraient radicalisées au cours de leur incarcération, dont une quarantaine est jugée très dangereuse. Une minorité sur les quelque 69 000 détenus incarcérés dans les prisons françaises. Mais qui peut faire des ravages en l’état actuel des prisons.
"Cette affaire prouve une fois encore ce qu’est la prison : continuons d’entasser quatre personnes dans des cellules de 9m2 avec des imams fous, sans aucune régulation, et nous aurons des dizaines de Merah et de Nemmouche", deplore Serge Portelli , président de la Cour d’appel de Versailles et auteur de "La vie après la peine". Le magistrat, qui demande une réforme urgente du système carcéral, y voit un nouveau dommage de la crise profonde des prisons qui restent - malgré les multiples appels, rapports ou critiques- surpeuplées, vétustes, en manque de moyens et de personnel.
Le personnel carcéral, premier témoin de la dérive radicale des détenus, est d’ailleurs le premier à avoir tiré la sonnette d’alarme. "Cela fait vingt ans qu’on prévient les autorités mais les politiques refusent de s’atteler à cette question taboue", regrette David Daems, secrétaire national de FO pénitentiaire, qui déplore le manque de moyens alloués à la sécurité en milieu carcéral. Selon lui, seuls une dizaine d’agents spécialisés travaillent sur le phénomène de radicalisation pour l’ensemble des prisons françaises.
Des détenus en détresse psychologique
L’embrigadement des nouvelles recrues suit un processus bien huilé. "Les groupes sont très hiérarchisés. Il y a un meneur qui marque les esprits ; il embrigade des lieutenants qui eux-mêmes recrutent les bras armés. Tous conspirent au sein même des structures", explique David Daems, qui admet que le phénomène est complètement hors de contrôle. "Les prédicateurs prêchent dans les coursives, pendant la promenade, dans les cellules. Et les jeunes désociabilisés, fragiles psychologiquement, finissent pas se laisser convaincre pour agir non seulement quand ils sont en prison mais également à leur sortie", ajoute-t-il.
Des fragilités et des blessures, Nemmouche en a sûrement. Enfance difficile, adolescence délinquante, père absent, celui qui "n’était pas religieux, ni de près ni de loin", selon son ancienne avocate Me Soulifa Badaoui, s’est précipité pour faire le djihad en Syrie, dès sa sortie de prison en 2012. "Les jeunes détenus, en détresse psychologique, sont ouverts aux discours radicaux", confirme Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes à FRANCE 24. La prison, faite de groupes de pouvoir et de luttes d’influence, offre à certains détenus démunis une nouvelle famille. "Chacun se tourne vers son groupe pour trouver une protection, il n’y a rien de plus humain", poursuit Nasr.
Mais la famille pousse au crime. Les meneurs, qui promettent de nouvelles perspectives et un avenir plus reluisant à des jeunes un peu perdus, n’ont pas de mal à pousser leurs recrues sur la pente dangereuse de la radicalisation. "Très rapidement on glisse vers la radicalité parce que la proposition qui est faite est celle d’un changement de vie, une coupure avec ses habitudes quotidiennes et les jeunes sont tentés par cette aventure", explique Jean-Charles Brisard.
La Syrie, facteur de radicalisation
La prison n’est cependant que l’un des multiples paramètres de la radicalisation. Selon Wassim Nasr, trois facteurs principaux peuvent être invoqués : les médias, "qui associent trop régulièrement l’islam au terrorisme", la prison et - plus exceptionnellement - la formation de petits groupes extrémistes en marge des mosquées françaises.
Dans le cas précis de Nemmouche, le sociologue Farhad khosrokhavar, auteur de l’ "Islam dans les prisons", estime même que la prison n’est pas à blâmer. Selon lui, sa radicalité tient plutôt de son séjour d’un an en Syrie, de 2012 à 2013. "C’est peut-être en prison que Nemmouche est devenu sectaire et fondamentaliste, mais le fond de la radicalisation s’est fait en Syrie !" Pour lui, il faut plus qu’un séjour derrière les barreaux pour passer à l’acte : "C’est en Syrie qu’il a été formé au maniement des armes et qu’il a subi un lavage de cerveau. La preuve, c’est en rentrant de Syrie qu’il a agi, et non en sortant de prison".
À défaut de prendre le mal syrien par la racine, c’est sur les prisons que les autorités françaises vont se concentrer dans un premier temps. Le 25 juin, Bernard Cazeneuve présentera un plan en conseil des ministres pour compléter les mesures présentées en avril afin de lutter contre les filières djihadistes vers la Syrie.