
Le juge antiterroriste Marc Trévidic a dû, une nouvelle fois, renoncer à se rendre en Algérie, samedi 31 mai, pour l’enquête sur l'assassinat des moines de Tibéhirine en 1996. Pour Me Patrick Baudouin, Alger fait preuve de "désinvolture".
C’est la deuxième fois, cette année, que le juge antiterroriste Marc Trévidic n’obtient pas "d’invitation" pour aller enquêter sur l’assassinat des moines de Tibéhirine en Algérie. Et sans le précieux sésame officiel, impossible pour le magistrat français et son armada d’experts médico-légaux d’entrer, samedi 31 mai, sur le territoire algérien et de progresser - enfin - sur cette sombre affaire jamais élucidée.
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines français avaient été enlevés du monastère isolé dans lequel ils s’étaient retirés, près de Médea, au nord-ouest du pays. Deux mois plus tard, les autorités algériennes n’avaient retrouvé que leurs têtes dans des sacs en plastique sur le bord d’une route, près de l’entrée de la petite ville de montagne. La thèse officielle algérienne a toujours pointé du doigt la responsabilité des islamistes des Groupes islamistes armés (GIA). Mais, depuis quelques années, cette théorie est mise à mal par des témoignages d’anciens militaires algériens et français qui n’hésitent pas évoquer une possible bavure de l’armée.
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"Des choses à cacher"
Des spéculations qu’une autopsie des crânes pourrait pourtant transformer en réponses. C’est pourquoi le juge Trévidic insiste tant pour partir exhumer les têtes des moines en Algérie. Accompagné d’une équipe de 14 experts, composée notamment d’un médecin légiste, d’un anthropologue-légiste, d’un spécialiste en empreintes génétiques et d’un radiologue, il espérait qu’une autopsie puisse enfin éclairer les enquêteurs sur les conditions des assassinats.
Dans une commission rogatoire internationale de décembre 2011, le juge Trévidic et sa collègue Nathalie Poux avaient demandé de pouvoir réaliser ces expertises sur les têtes des moines mais aussi d'entendre une vingtaine de témoins. Fin 2013, l'Algérie avait donné son feu vert pour réaliser ces expertises, mais n’a pas autorisé les auditions.
Cette nouvelle annulation – ou ce nouveau report ? – de la venue du magistrat en Algérie est donc une "grande déception" pour les familles des religieux, indique Me Patrick Baudouin, leur avocat, joint par FRANCE 24. "Cette fois-ci, les autorités algériennes n’ont donné aucun motif valable. La première fois [en mars 2014], les autorités avaient annulé la venue de Marc Trévidic à cause des élections présidentielles […] Ce n’est pas vraiment une surprise, depuis 19 ans, Alger se refuse à la transparence et rechigne à une coopération avec la justice française", ajoute Patrick Baudouin.
La visite de Fabius : une "lueur d’espoir"
Et l’avocat d’énumérer, dans la foulée, les raisons de sa colère : "Premièrement, il n’y a jamais eu d’autopsie des têtes des moines. Deuxièmement, ce sont des Français qui ont été assassinés. La France a donc toute légitimité pour enquêter [….]. Je déplore cette désinvolture d’Alger […]. Si nous ne recevons pas cette fameuse 'invitation officielle' nous en tirerons toutes les conséquences, à savoir qu’il y a obstruction des autorités algériennes. Et s’il y a obstruction, c’est qu’il y a des choses à cacher. Des militaires algériens sont-ils compromis dans cette affaire ?"
Aujourd’hui, l’avocat compte sur la visite officielle du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, prévue la semaine prochaine en Algérie, pour débloquer la situation. "Je vais prendre contact dès lundi [2 juin] avec le ministre pour lui demander d’intervenir. Cette visite, c’est notre lueur d’espoir". Contacté par FRANCE 24, Marc Trévidic n’a pas souhaité réagir.
Paris, de son côté, joue l’apaisement et préfère parler d’un simple "report". "Les autorités judiciaires françaises et algériennes sont actuellement en contact étroit pour préparer la prochaine visite de Marc Trévidic en Algérie, dont le principe n'est pas remis en cause et qui devrait se tenir prochainement", a assuré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Romain Nadal, lors d'un point presse. Alger n’a fait aucun commentaire.