logo

Tunisie : le pélerinage juif de la Ghriba sous haute surveillance

Quelques jours après une polémique sur l'octroi par la Tunisie d'autorisations d'entrée aux ressortissants israéliens, des pèlerins juifs ont afflué vendredi à Djerba pour se rendre à la Ghriba, la plus vieille synagogue d'Afrique. Reportage.

La Ghriba est la plus ancienne synagogue d’Afrique, située sur l’île de Djerba, en Tunisie. Chaque année au printemps, des pèlerins juifs –Tunisiens et étrangers– s’y réunissent pour une courte procession qui s’achève dans la cavité au fond de la synagogue, où ils déposent des cierges et des œufs où sont inscrits des vœux.

Cette année, la cérémonie a commencé vendredi 16 mai dans une atmosphère tendue. Au début du mois, une polémique a fait rage sur l’octroi d’autorisations d’entrée à des visiteurs israéliens. Une partie de la classe politique tunisienne a estimé qu’accorder aux ressortissants de l’État hébreu la permission de venir en Tunisie équivalait à "normaliser" les relations avec Israël, une perspective qu’ils ont jugée inacceptable par solidarité avec le peuple palestinien.

La polémique a finalement pris fin la semaine dernière, la procédure contre les visiteurs israéliens ayant été annulée après une séance parlementaire mouvementée. Mais ces quelques jours d’incertitude ont suffi à dissuader certains pèlerins. "Des gens ont eu peur et ont annulé leur venue, a regretté Perez Trabelsi, le président de la communauté juive de Djerba. Tous ces plateaux télévisés, l’assemblée constituante qui parlait de 'normalisation avec Israël'… C’est pour cette raison que les Israéliens et les Français ne sont pas venus nombreux".

Sécurité renforcée

Quelque 250 pèlerins se sont déplacés vendredi et les organisateurs espèrent accueillir 2 000 personnes d’ici dimanche, le dernier jour du rituel. Une fréquentation faible au regard de celle que connaissait le pèlerinage avant l’attentat suicide au camion piégé en 2002 contre la synagogue de Djerba, quand 8 000 personnes s’y rendaient chaque année. Depuis cette attaque, et jusqu’à la révolution tunisienne de janvier 2011, le pèlerinage de la Ghriba continuait de rassembler environ 3 000 pèlerins. Après la chute de Zine el Abidine Ben Ali, le nombre de participants n’a cessé de chuter.

Cette année, militaires, policiers et forces spéciales ont été déployés en nombre sur la route menant à la Ghriba. Des barrages ont été installés pour fouiller les véhicules. Ce qui n’est pas pour déplaire aux pèlerins. "Cette année, c’est encore mieux que l’année passée et celle d’avant, s’enthousiasme Ili Achouch, un habitant de Djerba. C’est beaucoup plus sécurisé. Même ceux qui ne voulaient pas venir ont changé d’avis […]. Beaucoup de choses ont changé cette année".

Rabbi Hananel Cohen n’était pas venu sur l’île depuis trois ans. Il est pourtant très lié à l’endroit : son grand-père était grand rabbin de Djerba. "Il est écrit qu’il n’y a pas de prières semblables à celles que l’ont fait à la Ghriba, elle est très sacrée", explique-t-il.

Organisé chaque année au 33e jour de la Pâque juive, le pèlerinage de la Ghriba est au cœur des traditions des juifs de Tunisie, une communauté qui ne compte plus que quelque 1 500 âmes, contre 100 000 avant l'indépendance en 1956.

Une des légendes fait remonter l'origine de la Ghriba à la destruction du temple de Salomon à Jérusalem, lorsque des juifs en fuite se sont réfugiés à Djerba et y ont établi une synagogue en 586 avant J-C.