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Boko Haram et la sécurité au Nigeria, objets d’un sommet à Paris

De nombreux chefs d’État sont attendus samedi au "Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria". La France se veut en première ligne dans la lutte contre les extrémistes en Afrique de l'Ouest et notamment au Nigeria, où sévit la secte Boko Haram.

Si l’annonce du "Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria", organisé samedi 17 mai, est venue de la bouche de François Hollande, le 11 mai, les organisateurs ont tenu à rappeler que c’est le président nigérian Goodluck Jonathan, qui en est à l’origine. L’objectif de Paris, samedi, est de trouver "comment arriver à cerner [les islamistes de Boko Haram] par l'intelligence, comment arriver à former pour combattre et comment arriver à débusquer les assassins", a expliqué le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius.

En février, invité d’honneur des cérémonies du centenaire du Nigeria, le président français – seul dirigeant occidental à avoir fait le déplacement – avait déjà tendu la main à son homologue nigérian pour l’aider dans la lutte contre Boko Haram : "Votre combat est aussi le nôtre", avait-il assuré dans un discours à Abuja, lors d’une conférence sur la paix et le développement en Afrique. "Nous serons toujours prêts à vous apporter, non seulement notre soutien politique, mais notre concours chaque fois que nécessaire. Parce que le combat contre le terrorisme, c’est aussi celui de la démocratie", expliquait le président français.

En accueillant ce sommet à Paris, et alors que les opérations Serval au Mali et Sangaris en République centrafricaine sont toujours en cours, François Hollande place donc la France au cœur de la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest. "François Hollande joue à fond la carte diplomatique en Afrique, seul continent où la France a encore de l’influence" résume Antoine Glaser, journaliste et fondateur de "La Lettre du Continent" joint par téléphone par FRANCE 24.

"Un puissant aveu de dépendance" du Nigeria

Jusque-là, le gouvernement nigérian avait toujours refusé poliment toute aide de l’étranger. En décembre 2013, au cours d’un précédent sommet à Paris sur la sécurité en Afrique, "le président Goodluck Jonathan expliquait […] que [le problème] Boko Haram, ça n’était qu’une question de semaines", rappelle Amzat Boukari-Yabara, docteur au Centre d’études africaines de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), sur FRANCE 24. Mais après l’enlèvement de plus de 200 lycéennes, dans la nuit du 14 au 15 avril, par Boko Haram à Chibok, dans l’État de Borno (nord-est), et la mobilisation internationale déclenchée par le mouvement #BringBackOurGirls, le Nigeria de Goodluck Jonathan s’est retrouvé sous les projecteurs, contraint de revoir sa stratégie contre le groupe islamiste.

Cette demande du président Goodluck Jonathan "traduit […] un puissant aveu de dépendance du Nigeria", première puissance économique et démographique d’Afrique, estime le chercheur béninois Gilles Yabi, ancien directeur de projet à l’International Crisis Group, sur l’antenne de RFI. Face à la terreur dans laquelle la secte religieuse a plongé le nord du pays, "le Nigeria a besoin de la collaboration des pays voisins", où les membres de Boko Haram "sont capables de se réfugier", explique encore Amzat Boukari-Yabara. Le but de ce sommet sera donc de "rassembler des acteurs régionaux, qui sont tous affectés par le phénomène Boko Haram" pour avoir une coordination plus importante que ce qui existait jusque-là.

Outre le président nigérian Goodluck Jonathan, sont attendus samedi à Paris le Camerounais Paul Biya, le Nigérien Mahamadou Issoufou, le Tchadien Idriss Déby Itno et le Béninois Boni Yayi. Ainsi, Goodluck Jonathan pourrait enfin rencontrer son homologue camerounais Paul Biya. Ce dernier – dont le déplacement n’a pas encore été confirmé officiellement – n’a jamais voulu accorder à l’armée nigériane un droit de poursuite transfrontalier pour traquer des suspects en territoire camerounais. Côté nigérian, ce refus de Yaoundé est perçu comme de la complaisance à l’égard de Boko Haram. À cela s’ajoutent d’anciens conflits frontaliers qui ont gelé les relations Cameroun-Nigeria. De la rencontre – souhaitable – entre les dirigeants du Cameroun et du Nigeria pourrait dépendre la réussite ou l’échec du sommet de samedi.

La stratégie de la France contre Boko Haram

Après l’indignation internationale qui a suivi l’enlèvement des lycéennes et les vidéos menaçantes d’Abubakar Shekau, chef de Boko Haram, Barack Obama et François Hollande ont tous deux déclaré, presque avec les mêmes mots, qu'ils "feront tout" pour aider le Nigeria contre la secte terroriste. "On a affaire à un des terrorismes les plus atroces", avait d’ailleurs souligné le président de la République, en Conseil des ministres. Outre les pays africains, la France a également annoncé que les États-Unis, le Royaume-Uni et des représentants de l’Union européenne étaient conviés aux discussions du 17 mai.

Si une intervention militaire directe de troupes occidentales ou africaines au Nigeria est pour l'instant exclue, des experts français et britanniques sont déjà à l’œuvre dans le pays pour tenter de retrouver les lycéennes. Les États-Unis ont également annoncé le 14 mai que l'armée américaine utilisait des drones de surveillance et des avions pour aider aux recherches.

Depuis plusieurs semaines, les critiques sur l’incapacité d’Abuja à faire face à Boko Haram se font de plus en plus vives, aussi bien dans la population nigériane qu’au sein des chancelleries occidentales. Alice Friend, directrice Afrique au département de la Défense américain, a pointé du doigt, jeudi, "l’incompétence de l’armée nigériane et l’échec du gouvernement nigérian à donner une ligne de conduite aux soldats pour changer de tactique".

En s'intéressant au Nigeria, Paris sort de son "pré-carré français" en Afrique, composé des anciennes colonies françaises. En mettant autour d'une même table le Nigeria (anglophone) et ses voisins francophones, la France entend poursuivre son implication en Afrique de l'Ouest, contre le terrorisme mais aussi sur le plan économique. Le Nigeria est déjà le premier partenaire économique de la France en Afrique subsaharienne, François Hollande l'a bien compris.