logo

Interdit de candidature, l'islamiste Ali Belhadj attend son heure

envoyée spéciale en Algérie – Plus de vingt ans après l’interdiction du FIS, le cheikh Ali Belhadj dénonce un "pouvoir corrompu" et une présidentielle algérienne "jouée d’avance". Pour le prédicateur islamiste, seule "une transition politique" peut sauver le pays du "chaos".

Le rencontrer n’est pas chose aisée. L’homme, sous surveillance policière permanente depuis sa sortie de prison en 2006, semble un brin méfiant. Après de multiples coups de téléphone, le cheikh Ali Belhadj*, co-fondateur du Front islamique du salut (FIS, aujourd’hui dissout), nous reçoit dans une maison très modeste de la cité des Eucalyptus, dans la banlieue d’Alger. La demeure n’est pas la sienne mais celle de son frère. Dans le salon, la décoration est plutôt chiche. Une bibliothèque chargée de livres et de bibelots, un tapis aux couleurs délavées, quatre matelas et une table basse au centre. Sur la toile cirée, des jus de fruits, du thé et des gâteaux pour les convives.

Ali Belhadj, le père du FIS

Né en 1956 en Tunisie, Ali Belhadj grandit au sein d'une famille de réfugiés algériens d'origine mauritanienne. Il effectue son premier séjour en prison de 1983 à 1987 pour son soutien à un imam radical.

 Ali Belhadj crée le FIS en 1989 et devient rapidement un acteur politique incontournable en Algérie. Charismatique, capable de remplir des stades à Alger, ses prêches enflammés rejettent la démocratie et prônent un islam ultra-conservateur.

En 1991, il est arrêté et appelle les militants du FIS à s'armer. Depuis sa cellule, il salue les actions du GIA. Libéré en 2003 par le président Abdelaziz Bouteflika, il est réincarcéré en 2005 pour apologie du terrorisme. En 2006 il bénéficie de l'amnistie au nom de la réconciliation nationale.

Au bout de quelques minutes, l’ancien compagnon de route d’Abassi Madani, co-fondateur du FIS en 1989, aujourd’hui exilé au Qatar, fait son entrée, enveloppé dans un khamis gris-bleu, la arrakiya blanche visée sur la tête. Le temps ne semble avoir eu aucune emprise sur lui. À 58 ans, le cheikh Ali Benhadj affiche une allure de jeune homme. Son visage sombre, mangé par de larges lunettes à monture dorée, ne porte presque aucune ride. Le regard pétillant, parfois rieur, le prédicateur déroule un discours à l’efficacité féroce. Interdit de candidature après sa victoire aux législatives de 1991 et l’interruption du processus électoral, il n’en a pas fini avec la politique. Bien au contraire.

Par deux fois, les 2 et 16 février, le numéro 2 de l'ex-FIS s’est rendu au ministère de l’Intérieur afin de retirer un formulaire de candidature à la présidentielle du 17 avril. En vain. "J’ai été empêché parce que j’ai l’interdiction d'apparaître en public en vertu de l’article 26 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Ce texte m'interdit d'exercer mes droits civiques et politiques", lâche-t-il confortablement installé, les jambes croisées sur le sol.

L’appel au boycott du 17 avril

Emprisonné en 1991 pour "apologie du terrorisme", le cheikh Ali Belhadj dénonce l’acharnement du pouvoir contre l’ex-FIS. Sa voix enveloppe la pièce silencieuse. Assis dans un coin, son beau-frère boit ses paroles, tout en se caressant mécaniquement la barbe. Pour Ali Belhadj le seul "critère qui puisse faire éclater la vérité", c'est de permettre au FIS de se lancer dans la bataille électorale. "Seules les urnes permettront de juger si la base militante du FIS s'est élargie ou réduite".

Un vœu pieux. Alors que les rumeurs de rapprochement avec le candidat Ali Benflis (ex-Premier ministre d'Abdelaziz Bouteflika) se sont multipliées dans la presse, qui avait évoqué une "solution" avec ceux qui ont "été exclus de l’exercice politique", le cheikh refuse de choisir parmi les six candidats à la présidentielle. "Nous ne soutenons aucun candidat. Le Front islamique du salut a fait état de sa position dans un communiqué signé par Abassi Madani, dans lequel il a appelé au boycott, précise le cheikh Belhadj. Beaucoup nous ont contactés pour que nous leur donnions les suffrages du FIS. Nous leur avons répondu que nous ne voulions pas juste nous associer mais participer à la préparation d’un véritable projet. Nous n’avons trouvé aucun écho. Le FIS n’est pas un réservoir de voix ou un gardien d’urnes pour éviter les fraudes", lâche-t-il avec un sourire narquois.

1990-2002: La décennie noire

En décembre 1991, le Front islamique du salut (FIS), qui prône l’instauration d’un État islamique en Algérie obtient la majorité presque absolue dès le premier tour des élections législatives, premier scrutin pluraliste depuis 1962.

L'armée algérienne interrompt le processus électoral. Le Front islamique est dissous la même année. La plupart de ses dirigeants sont arrêtés et emprisonnés.

Dans la clandestinité, une partie de la mouvance islamiste entame une sanglante guérilla. Massacre d’intellectuels, de villageois, attentats…  La violence de l’armée régulière et celle des groupes islamistes fait 200 000 victimes.

Le regard du leadeur s’illumine lorsqu’il évoque la "transition politique". Pour lui, point de salut en Algérie sans une phase de cohésion nationale où une nouvelle constitution devra être élaborée avec tous les acteurs politiques, "de l'extrême gauche à l'extrême droite". Sans oublier le peuple qui devra être consulté. "Le peuple a aujourd’hui atteint sa maturité. L’ère de sa mise sous tutelle est révolue", martèle-t-il dans une logorrhée interminable.

Inutile de regarder vers le 17 avril, pour lui, l’enjeu est ailleurs. "Le but de ces élections n’est pas la reconduite d’Abdelaziz Bouteflika mais la désignation d'un vice-président. Ce sera chose faite après la révision de la constitution annoncée d’ici la fin de l’année. Les gens vont voter pour un président mais dans six mois ou un an, ils auront un chef de l’État pour lequel ils n’auront pas voté". Le prédicateur lance des noms : Abdelmalek Sellal, l’actuel directeur de campagne du président sortant , Abdelaziz Belkhadem, conseiller à la présidence ou encore Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet de Bouteflika. Selon lui, il fera forcément partie du "clan présidentiel".

La lutte armée des années 1990 : une légitime défense

Le cheikh poursuit sa démonstration implacable. Agitant les mains, scrutant ses interlocuteurs masculins, Ali Belhadj reprend son leitmotiv : il veut être associé à un processus de transition politique.

Interrogé sur le sang versé pendant la funeste "décennie noire" (les années 1990) où près de 200 000 personnes ont trouvé la mort, le cheikh évoque la légitime défense en éludant une partie de la question. "Ceux qui ont porté les armes et pris les maquis l'ont fait pour se défendre", justifie-t-il en rappelant qu’il avait été incarcéré "pour avoir organisé un sit-in bien avant les législatives de 1991. Est-ce que le système a demandé pardon au peuple ? Le FIS a gagné les élections mais les islamistes se sont retrouvés emprisonnés, torturés, tués. Sans oublier les 17 000 militants islamistes placés dans des camps de concentration", assène-t-il.

Ali Belhadj rapproche l’action de l’État algérien de celle de la France coloniale pendant la guerre d’Algérie (1954-1962). "L’Algérie demande à la CPI de punir les soldats français qui ont torturé en Algérie pendant la guerre. Pourquoi on ne punit pas l’État algérien pour ça ? En Algérie, il y a aussi des Bigeard, Massu ou Aussaresses. L’État algérien a fait bien pire que la France !". Pour le cheikh Belhadj, Alger doit demander pardon pour les atrocités commises dans les années 1990. "J’ignore s’il y a toujours des partisans du FIS dans le maquis mais je m'adresse au pouvoir et lui demande de résoudre cette question politiquement."

Éviter d'arriver au point de non-retour comme en Syrie

Évoquant l’"enracinement" de l’ex-parti dans la société, Ali Belhadj affirme que "tôt ou tard" il reviendra en force. L’heure est au dialogue et à la réhabilitation du FIS estime-t-il. "Le pouvoir en place doit faire preuve de raison et écouter les sages afin d’éviter d'arriver au point de non-retour comme en Syrie", analyse le prédicateur en évoquant également le destin de Mouammar Kadhafi, Hosni Moubarak ou encore celui de Zine el-Abidine Ben Ali. "Il faut des changements, une période de transition. Il reste deux semaines avant le vote. Allez à la table des négociations, il n’est pas trop tard."

Même dans le cas d’une victoire d’Abdelaziz Bouteflika, il estime qu'une "révolte populaire" n’est pas à exclure. "Comme le disait Ibn Khaldoun, il faut laisser le temps au temps. Le peuple peut s’endormir mais à l’image d’un volcan, il peut se réveiller un jour en profitant d’une faille."

*Ali Belhadj est également connu sous le nom d'Ali Benhadj