logo

Comment le Kremlin utilise la crise en Ukraine pour contrôler les médias

La nomination d’un proche du pouvoir à la tête du principal site russe d’informations illustre la manière dont le Kremlin utilise la crise en Ukraine pour exercer davantage sa mainmise sur les médias.

La crise ukrainienne aura eu raison de l’une des journalistes indépendantes les plus connues en Russie. Galina Timtchenko a été renvoyée, mercredi 12 mars, de son poste de rédactrice en chef du site d’information lenta.ru. Le propriétaire du titre et oligarque russe Alexander Mamut a décidé de nommer à sa place Alexei Goreslavsky, connu pour avoir des positions plus pro-Kremlin que Galina Timtchenko.

Alors que la crise ukrainienne bat son plein, ce changement à la tête du site d’informations le plus lu en Russie n’est pas anodin. Alexander Mamut n’a pas justifié sa décision, mais nombreux sont les observateurs à y voir la main du pouvoir. “L’éviction de Galina Timtchenko constitue un signal d’intimidation très clair et un coup majeur porté au journalisme indépendant en Russie”, a regretté Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières, dans un communiqué publié par l’ONG française de défense de la liberté d’expression.

Lenta.ru était, depuis quelque temps, dans le viseur des autorités russes. Son indépendance de ton et son audience, plus de 12 millions de visiteurs par mois, passaient de plus en plus mal dans le contexte de tension diplomatique avec l’Ukraine. L’autorité de surveillance des communications a ainsi lancé un avertissement, mercredi 12 mars, après l’interview réalisée par le site d’Andreï Tarasenko, un politicien ultranationaliste ukrainien. Cet entretien participait, d’après le gendarme russe des médias, à la “diffusion de matériaux à caractère extrémiste”. Ce choix des mots ne doit rien au hasard, juge le magazine américain “The New Yorker”, qui rappelle que Moscou justifie officiellement son action en Ukraine par la nécessité de “protéger les Russes en Ukraine contre les ‘fascistes’ et extrémistes”.

Le prétexte ukrainien

Avec son nouveau patron, Alexei Goreslavsky, lenta.ru ne risque pas de rester longtemps le poil à gratter du Kremlin notamment dans le dossier ukrainien. C’est du moins l’avis de la plupart des journalistes du site. L’une de ses plumes les plus célèbres, Ilya Krasilshchik s’en est pris publiquement sur Facebook à “cet ami du Kremlin” parachuté à la tête de la publication. Quant au fondateur de lenta.ru, Anton Nossik, il a rappelé au quotidien britannique “Financial Times” qu’Alexeï Goreslavsky avait, auparavant, fait un grand nettoyage éditorial sur le site d’information Gazeta.ru (qui appartient également à Alexander Mamut) qui “n’est plus très différent d’une agence de presse officielle du gouvernement”.

Avant lenta.ru, c’est la chaîne indépendante Dojd qui avait subi les foudres du pouvoir. Elle a disparu, fin janvier, de plusieurs bouquets de télévision. Raison officielle : un sondage polémique sur la bataille de Stalingrad. Mais pour beaucoup d’observateurs, sa couverture de certains événements sensibles comme les manifestations en Ukraine ont irrité en haut lieu. “Depuis le début de la crise en Ukraine, la situation a empiré pour le journalisme en Russie”, souligne Dominique Curis, coordinatrice défenseur des droits humains pour Amnesty International qui a aussi travaillé pour l’ONG sur les problématiques liées à la liberté d’expression en Russie.

Mais pour elle, les événements ukrainiens ne sont qu’un prétexte pour s’en prendre à des médias indépendants qui étaient déjà dans le collimateur du pouvoir. “La reprise en main de l’information en Russie dure en fait depuis deux ans”, souligne Dominique Curis. Soit depuis le retour de Vladimir Poutine à la tête de la Russie. Il y a eu le vote, en 2012, d’une liste noire extensible de sites Internet interdits, la mise en place d’une traque des propos jugés “extrémistes” sur la Toile. Les blogueurs sont de plus en plus mis sous pression, rapporte régulièrement RSF. En 2013, le Kremlin a fait nommer un homme venu de la radio conservatrice “Voice of Russia” à la tête de la radio ”Écho de Moscou”, jugée trop libérale par le pouvoir.

La crise en Ukraine a, en fait, créé un nouveau champ de mines de sujets sensibles pour les journalistes indépendants. Autant de nouvelles cordes à son arc que Vladimir Poutine n’hésite pas à utiliser, d’après le “New Yorker”, “non pas pour exercer une censure à la stalinienne, mais pour instaurer un contrôle plus subtil et efficace de la presse”.