Actrice congolaise de 17 ans, Rachel Mwanza était il y a trois ans une enfant des rues à Kinshasa. Vedette du film "Rebelle", elle s’engage auprès de l’Unesco pour devenir l’ambassadrice de ces enfants que "personne ne veut voir, ni entendre".
Elle pourrait être une adolescente comme les autres. Peinant à se remettre d’un réveil trop matinal, Rachel Mwanza traîne ses baskets compensées sur l’asphalte du Ve arrondissement de Paris, planquée sous la capuche d’une fourrure synthétique. La jeune actrice congolaise, récompensée d’un Ours d’argent en 2012 et finaliste aux Oscars pour sa prestation magistrale dans "Rebelle", le film de Kim Nguyen sur des enfants soldats en Afrique australe, n’a pas très envie de se raconter ce matin-là. Sa vie, elle la raconte déjà dans son livre "Survivre pour voir le jour", qui vient de sortir. Depuis, elle enchaîne les interviews et frise l’overdose.
Mais quand on lui demande de parler de son engagement pour les enfants des rues en
République démocratique du Congo (RDC), elle sort la tête du chocolat chaud qu’elle siffle à la petite cuillère et soudain on oublie qu’elle n’a que 17 ans. Il y trois ans à peine, elle aussi était une "shegué", une enfant des rues en argot kinois, et elle se battait pour survivre.
La sorcellerie qui a volé son enfance
Rachel Mwanza a eu une enfance heureuse dans la province du Kassaï, au centre de la RDC, avec ses parents et ses 5 frères et sœurs. "Une vie paisible entre la maison, l’école, les amis, l’église et les promenades dans la nature", écrit-elle dans sa biographie. Une vie d’enfant qui s’arrête brusquement quand son père, remarié, envoie première épouse et progéniture à Kinshasa, à quelque 1000 kilomètres de là. Abandonnée et démunie, sa mère, manipulée par un pasteur évangéliste et une grand-mère hostile, accuse Rachel de sorcellerie. La petite n’a que 10 ans.
"Ma maman est allée voir un faux prophète qui lui a dit que j’étais une sorcière. Il a dit que je provoquais le malheur. Je sais que ce n’était pas vrai, mais à l’époque je l’ai cru", raconte Rachel Mwanza à FRANCE24. Une accusation qui a détruit son enfance. Après diverses tentatives d’exorcisme, administré à des prix dépassant tout entendement par l’une de ces églises dites de "réveil" qui pullulent à Kinshasa, Rachel, accusée de tous les maux de la famille, est jetée à la rue.
"On est comme des rats dans un resto chic"
Commence alors une vie de misère et d’infortune qui va durer quatre ans. Comme près de 20 000 enfants qui errent dans les rues de Kinshasa, Rachel connait la faim, la violence, la drogue, le
viol. Elle dort sur un carton et se nourrit dans les poubelles. "Les 'shegués' sont comme des rats dans un restaurant chic et propre. On fait tâche. Les gens ne veulent pas de nous, ils ne veulent pas nous voir, pas nous entendre. Ils nous détestent", raconte-t-elle.
"J’ai cherché tous les moyens pour me nourrir, j’ai vendu du chanvre, j’ai nettoyé des habits, fait le ménage ", poursuit-elle, avant de préciser : "Mais j’ai gardé mon corps. C’est très important pour les Baluba [son peuple, ndlr]". Entendre : elle a échappé à la prostitution, mais pas aux mauvaises rencontres. "Dans la rue, tu peux aimer, mais tu vas toujours tomber sur de mauvaises personnes qui vont te faire du mal", prévient-elle.
Quand la nuit tombe, les 'shegués' comme elle sont la proie des "phaseurs" (mendiants plus âgés), des "kulunas" (voyous armés), des flics véreux ou encore des vieux vicieux. Un soir de pluie, alors qu’elles sont affamées et grelottantes, Rachel et sa petite sœur qu’elle a retrouvé dans la rue sont hébergées par un homme qui a l’âge d’être leur grand-père. Il
abuse d’elles. Rachel se réfugie dans le silence à l’évocation de cet épisode : "Je reviens du petit enfer", résume-t-elle pudiquement.
C’est pourtant en se remémorant cet épisode que sa vie a basculé, en 2010. Lorsque Rachel participe par hasard au casting sauvage du reportage belge "Kinshasa Kids", elle doit prononcer la phrase : "Monsieur le gendarme, on m’a violée". C’est la révélation : "Je ne joue pas une scène écrite mais ma vie. (…) Je dis ma réplique et tout le monde reste bouche bée", écrit-elle dans sa biographie. Elle a 14 ans et c’est le début d’une nouvelle vie. Après cette première expérience, elle décroche le premier rôle pour le film de Kim Nguyen et la suite est celle que l’on sait.
"Je ne veux pas qu’on ait pitié de moi"
"Elle est d’une force incroyable. Elle fait partie de ces gens à qui l’on peut prédire un grand destin, loin de ce qu’ils pourraient imaginer eux-mêmes", prophétise son éditeur parisien Yves Michalon. Comme tous ceux qui rencontrent la jeune femme, il est tombé sous le charme de cette force de caractère, modèle de résilience et de détermination. Rachel a ainsi séduit Valérie Trierweiler, la compagne du président François Hollande qu’elle appelle son "amie", ou Yamina Benguigui. La ministre française de la Francophonie n’a pas hésité à décrocher son téléphone pour convaincre le gouvernement congolais de donner son feu vert pour que la jeune femme puisse être
ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco. Chose faite. À 17 ans seulement, Rachel Mwanza a été nommée porte-parole des enfants des rues.
"Je ne veux pas qu’on ait pitié de moi. J’ai écrit un livre pour qu’il soit porteur d’espoir. Il n’y a pas longtemps, j’étais 'shegué'. Je veux maintenant les aider, les encourager à aller à l’école", explique-t-elle. La jeune fille, dont la priorité est aujourd’hui de réapprendre à lire et écrire, fait soudainement preuve d’une maturité qui va bien au-delà de ses 17 ans. "La rue c’est d’une violence que vous, ici [en France, ndlr], vous ne pouvez pas imaginez. Chez moi, il y a des enfants qui ont des enfants ; des enfants qui mangent dans les poubelles ; des enfants qui se font tuer. Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez", insiste-t-elle, en plantant ses yeux de jais dans ceux de son interlocuteur, avec l’aplomb d’un vieux sage qui a porté la vie sur ses épaules.
Puis un cri suraigu, dont seule les adolescentes ont le secret, coupe court à la méditation qu’avait imposé cette leçon de vie. Rachel vient de récupérer un magazine people qui lui a consacré un article : "On parle de moi dans le même journal que Beyoncé !". Rachel pouffe de joie et se met à danser sur le trottoir parisien. Elle a retrouvé ses 17 ans et sa joie de vivre. La rue ne lui aura pas tout volé.
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