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Les noctambules se dotent d'un "maire de la nuit" pour réveiller Paris

Six mois avant les municipales, les acteurs de la nuit parisienne ont élu leur "maire" afin d’alerter les candidats sur les difficultés à faire la fête dans la capitale. Mais est-il vraiment possible de réveiller Paris ?

Avant même qu’une équipe de communicants ait eu besoin de plancher sur la question, le romancier américain Ernest Hemingway s’était attelé à la tâche. En 1964, la parution à titre posthume de son œuvre "Paris est une fête", dans lequel il raconte avec nostalgie ses années 1920-1930 d’écrivain-bohème dans la capitale française, contribua fortement à façonner la réputation d’une ville engageante, foisonnante et extrêmement bienveillante avec ses couche-tard d’artistes, même les moins fortunés. Bien des années plus tard, la lumière que Paris renvoie au reste du monde semble aussi pâle que celle d’une étoile en voie d’extinction.

Depuis quelques années, la presse française et internationale aime à brosser le portrait d’une ville-musée s’endormant sur ses lauriers. En 2009, le quotidien Le Monde lançait les hostilités en désignant "Paris, capitale européenne de l’ennui". Dans la foulée, le New York Times, dans un papier intitulé "Quand les fêtards voient les feux de la ville s’éteindre", décrivait ainsi la métropole hexagonale comme un belle endormie "guindée et bourgeoise", perdant chaque jour un peu plus de sa splendeur passée au profit de Londres, Berlin ou encore Barcelone. "Paris n’est plus la Ville Lumière, déplorait alors un cafetier du XIe arrondissement. Désormais, elle se couche à 23 heures."

De fait, les journaux se faisaient l’écho du cri d’alarme de patrons de bars, de musiciens et d’organisateurs de soirées qui, dans une pétition appelée "Quand la nuit meurt en silence", invitaient les pouvoirs publics à davantage agir en faveur de la fête, un secteur d’activité souvent mal considéré. Le collectif y dénonçait, notamment, des horaires d’ouverture contraignants, un manque de transports adaptés aux usages des noctambules mais aussi, et surtout, la hausse du nombre de fermetures administratives consécutives aux plaintes de voisinage.

"Une voix et un visage au monde de la nuit"

À six mois des élections municipales, qui doivent désigner un successeur au maire socialiste sortant Bertrand Delanoë, la conflictuelle cohabitation entre le monde du jour et celui de la nuit s’est de nouveau immiscée dans le débat public. Mardi 12 novembre, au terme d’un scrutin mobilisant le samedi précédent près de 2 200 votants dans une quarantaine de bars dans la ville, un "maire de la nuit" a été informellement élu. À l’origine de cette consultation, non-institutionnelle mais néanmoins sérieuse, peu ou prou le même groupe à l’origine de la pétition de 2009.

Nous nous sommes rendus compte qu’il existait un problème de fond dans les discussions entre, d’un côté, les professionnels et, de l’autre, les riverains, explique Éric Labbé, chargé de communication du Zig Zag Club et porte-parole du collectif. Aux yeux des politiques, les professionnels sont une minorité qui défend ses intérêts alors que les riverains sont des électeurs potentiels. Cette vision déséquilibre le débat, c’est pourquoi nous voulions donner une voix et un visage aux publics de la nuit."

Depuis mardi, c’est à Clément Léon R., écrivain, noctambule et ancien rédacteur en chef du magazine Le Dôme, spécialisé dans le monde de la nuit, qu’incombe cette mission. "Cette élection est l’occasion de faire évoluer les choses et de façonner la nuit comme beaucoup de monde l’entend, espère l’édile fraîchement désigné avec 31,34 % des suffrages. Énormément de gens disent qu’ils ne veulent plus rester à Paris parce que tout est cloisonné. Je connais des fêtards qui souhaitent ouvrir des bars mais se refusent de le faire ici, ou même ailleurs en France."

"Le cul entre deux chaises"

Il est vrai que se lancer dans l’aventure des nuits parisiennes relève bien souvent de la gageure. Co-gérant du Face Bar, petit établissement du Marais, dans le IIIe arrondissement, Thomas Dubber a très vite été confronté aux foudres des résidents râleurs. "La première année, nous avons reçu 130 plaintes de voisinage, et avons donc dû engager des travaux d’insonorisation qui nous ont coûté 25 000 euros, affirme l’exploitant qui a vendu son appartement il y a deux ans pour pouvoir acquérir le fonds de commerce avec son frère. Nous sommes constamment le cul entre deux chaises : pour être rentable, nous devons faire vivre le lieu mais éviter le retour de bâton des associations de riverains. Demain, si on écope d’une fermeture administrative, on en aurait pour 20 000 euros. Le calcul est donc vite fait : mieux vaut avoir un peu moins de clients et donc moins de plaintes."

Reste que dans les établissements qui, du fait de leur plus grande capacité d’accueil, charrient un grand nombre de consommateurs, la meilleure insonorisation du monde serait encore insuffisante pour calmer les résidents en quête de calme. "Les nuisances sonores ne sont pas vraiment dues à la musique mais aux personnes qui fument dehors", observe Billy Hadley, co-exploitant du Sans-Souci, à Pigalle (IXe arrondissement).

Aussi, depuis l’entrée en vigueur en 2007 de la loi interdisant la cigarette dans les débits de boissons, nombre de patrons de bar ont dû s’adjoindre les services d’agents de sécurité chargés de calmer les ardeurs des fumeurs contraints de griller leurs clopes à l’extérieur. "Leur présence est devenue indispensable, assure Billy Hadley. Ils gèrent les clients, les empêchent de coloniser la route ou de sortir avec leurs verres sur la voie publique. Il n’y a pas un bar de ce quartier qui n’a pas un portier."

La nuit à Paris : ce que promettent les deux principales candidates

À la suite d’une réunion avec les représentants du monde de la nuit en juillet dernier, la candidate socialiste, Anne Hidalgo, s’est engagée à créer le poste d’un maire-adjoint à la nuit, sans en définir précisément les attributions. "Il est important d'avoir un élu qui ait une vision transversale du sujet, toute la légitimité de négocier avec nos partenaires et l'autorité sur les différentes directions de la Ville", avait expliqué au "Monde" Bruno Julliard, le porte-parole de la campagne d’Anne Hidalgo.

Dans le camp de la candidate UMP Nathalie Kosciusko-Morizet, qui prône pour un nombre d’adjoints plus resserré, cette création de poste fait figure de "gadget". Plus concrètement, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, propose de faire fonctionner le métro jusqu’à 2 heures du matin en semaine et de renforcer le réseau et la régularité de bus nocturnes.
 

Au risque, parfois, de brider l’ambiance. "Cela agace un peu les clients de ne pas pouvoir boire leur verre dehors ou de se faire rappeler tout le temps à l’ordre. C’est pesant pour eux, mais ils finissent par comprendre que nous sommes sur le qui-vive et constamment sous pression." Le pouvoir des riverains est tel, selon Eric Labbé, que les fermetures administratives prononcées à l’encontre d’établissements jugés trop bruyants ont augmenté de 5 à 10 % ces deux dernières années.

Les Pierrots de la nuit

Soucieuse d’éduquer les fêtards aux nuisances sonores, la mairie de Paris a déployé depuis mars 2012 une escouade de "Pierrots de la nuit", des mimes, comédiens ou danseurs tout de blanc vêtus qui, chaque week-end entre 23 h à 3 h du matin, arpentent les rues de la capitale afin d’intimer aux clients bruyants l’ordre de baisser d’un ton. Aussi originale soit-elle, la mesure récolte davantage de réactions médusées que de résultats probants.

"Le vrai chantier, c’est la mise en place d’une véritable médiation dans laquelle le maire de la nuit pourrait être force de proposition", plaide Eric Labbé. En ce sens, l’idée suggérée par la candidate socialiste Anne Hidalgo de créer un poste de maire-adjoint à la nuit (voir encadré ci-contre) suscite des espoirs parmi les noceurs. "C’est important symboliquement que la municipalité reconnaisse qu’il existe un mouvement transversal, estime le co-organisateur de l’élection du maire des nuits parisiennes. C’est bien qu’il y ait un adjoint dont l'attribution est dédiée à ce sujet plutôt qu’un élu qui a plusieurs autres dossiers à charge, comme c’est le cas aujourd’hui."

"Une trop forte concentration de bars"

La proposition est loin, en revanche, de remporter l’adhésion des associations de riverains. "Cela fera un adjoint de plus, or il y en déjà 35 et cela a un coût, estime Gérard Simonet, membre-fondateur de Vivre le Marais. Nous attendons autre chose du maire de Paris que ces inefficaces et dispendieuses mesurettes."

Pour cet habitant du Marais, quartier qui draine de nombreux touristes le jour et tout autant de fêtards la nuit, le problème des conflits de voisinage peut être géré en amont. "Il y a une trop forte concentration de bars dans certains endroits de Paris, diagnostique-t-il. S’ils étaient équi-répartis dans la ville, cela ne causerait pas de tensions. Ce qu’il faut éviter, c’est de créer des abcès de bruit dans un espace délimité où beaucoup de gens vivent."

Avec ses 3 000 établissements nocturnes, dont 300 discothèques, selon les estimations de la préfecture de police, Paris constitue de loin la plus grande offre de réjouissances nocturnes dans la région. "La ville compte des centaines de lieux de vie nocturne et seulement 60 à sa périphérie, croit savoir Gérard Simonet. Le déséquilibre entre la couronne et le cœur de la capitale fait que beaucoup de personnes viennent à Paris pour se divertir parce qu’ils n’ont pas la possibilité de le faire dans leur ville."

De l’autre côté du périph’

Des banlieusards qui festoieraient hors de Paris et, encore mieux, des Parisiens qui partiraient s’encanailler en banlieue, tel est le rêve des associations de riverains. Que plusieurs organisateurs de soirées sont en passe de réaliser. Depuis plusieurs mois, des collectifs tels Die Nacht ou encore La Mamie’s n’hésitent plus à franchir le périphérique pour y tenir des fêtes techno, comme récemment près de l’aéroport du Bourget (Seine-Saint-Denis) ou dans un squat d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Ces événements éphémères dits "hors clubs" attirent tout un public de jeunes gens quelque peu fatigués par les espaces confinés et les prix souvent prohibitifs des clubs parisiens.

"Il y a aujourd’hui une grosse demande de la part des 18-25 ans qui ont très, très envie de sortir, notamment en dehors des clubs, analyse Eric Labbé. L’organisation de fêtes en banlieue, c’était quelque chose qu’on espérait mais qui relevait de la science fiction, car la nuit parisienne s’est toujours exclusivement concentrée dans les 20 arrondissements de la capitale. On ne peut plus réfléchir la nuit à l’échelle de Paris intra-muros, qui a la taille d’un timbre-poste. Pour pouvoir se comparer à des villes comme Londres et Berlin, il faut se mettre à la même échelle. La solution, c’est le Grand Paris."

Encore faudrait-il que ce projet de grande métropole francilienne bénéficie d’un réseau de transports étendu et adapté. Pénurie de taxi le week-end, métro fermé au plus tard à 2 heures du matin, bus de nuit mal organisés et peu sécurisés… Paris n’est pas la capitale du monde la plus mobile une fois la nuit tombée. Un sérieux handicap pour une ville qui aimerait de nouveau se frotter à ses attrayantes concurrentes, que les compagnies aériennes low-cost ont rendu plus accessibles.

"Les Parisiens partent encore faire la fête dans d’autres capitales européennes, ce qui n’est pas le cas des Européens chez nous, regrette "monsieur le maire" Clément Léon R., qui entend inverser la tendance. En fait, les étrangers viennent plutôt à Paris en mode romantique avec son copain ou sa copine." Paris, ville des amoureux, voilà un label que les autres capitales ne sont pas près de lui contester.

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