La ville de Qingdao, dans l’est de la Chine, accueille désormais une immense cité du cinéma financée par le milliardaire Wang Jianlin. Le but : offrir à la Chine son Hollywood afin de faire rayonner la culture asiatique dans le monde.
La petite ville portuaire de Qingdao sera bientôt aussi connue pour sa bière Tsingtao que pour son cinéma. Dimanche 22 septembre, Wang Jianlin, l’une des premières fortunes de Chine à la tête du conglomérat Wanda group, y a lancé sa cité du cinéma oriental, un projet titanesque dont les premiers coups de pelle avaient été donnés un peu plus tôt cette année.
L’ambition affichée : rivaliser avec Hollywood en faisant émerger un véritable “Chinawood” sur la scène internationale. "Il s'agit d'un projet majeur pour appliquer la politique nationale visant à faire [de la Chine] une puissance culturelle", a expliqué - lors d’une fastueuse cérémonie de présentation du site - le milliardaire qui investit plus de six milliards d’euros dans le projet.
Recouvrant 376 hectares au cœur des faubourgs de Qingdao, le complexe prévoit de produire au moins une centaine de films par an, dont une trentaine étrangers. Vingt studios y seront également construits dont le plus grand du monde avec une superficie de 10 000 m2. Le grand public ne sera pas non plus en reste avec un "musée de cire", une salle de projection de 3 000 sièges, des montagnes russes aquatiques, un vaste centre commercial, sept établissements hôteliers, une structure hospitalière et un yacht club.
Encore en chantier, le site devrait être totalement opérationnel d’ici à 2016.
“Le cinéma chinois, ce n’est pas que du Kung Fu”
Pour Jean-Vincent Brisset, spécialiste de la Chine à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), ce projet peut donner un véritable coup de fouet à la création chinoise. “Le cinéma chinois, ce n’est pas que du Kung Fu. Ils sont tout à fait capables de sortir des productions plus classiques. Mais le manque de moyens dans le secteur fait, qu’actuellement en Chine, on croule sous les soap à l’eau de rose montés avec des bouts de ficelle”, explique-t-il à FRANCE24. Il existe, selon lui, une véritable scène artistique qui a déjà fait ses preuves, notamment à Taiwan où les productions sont portées par d’excellents réalisateurs comme Ang Lee, l’un des seuls du genre à jouir d'une certaine visibilité en France.
Si Jean-Vincent Brisset salue le projet “Chinawood”, il émet toutefois quelques doutes sur la tournure que peut prendre le projet en raison de l’implication de Wang Jianlin, dont les activités au sein de Wanda group vont de l'immobilier aux ventes de détail. “Un riche homme d'affaires qui fait du cinéma, ça risque de donner une réplique de Bollywood où les films sont produits au kilomètre…”, imagine-t-il, craignant de voir la quantité primée sur la qualité.
Wanda group n'en est pas à sa première offensive sur le cinéma occidental.
En mai 2012, le conglomérat chinois s’était déjà offert le spécialiste des multiplex aux États-Unis, AMC (American Multi-Cinema), devenant ainsi le plus grand propriétaire de salles de cinéma dans le monde.
Alors pour donner du crédit et une portée internationale à son “Chinawood”, Wang Jianlin s’est entouré, lors de la soirée d’inauguration, d’une pléiade de stars hollywoodiennes plus respectées les unes que les autres : Nicole Kidman, Leonardo DiCaprio, John Travolta, Ewan McGregor, Christoph Waltz et Catherine Zeta-Jones ont foulé le tapis rouge aux côtés de stars locales comme l'actrice Zhang Ziyi ou les comédiens Jet Li et Xu Zheng. De quoi prouver qu’à “Chinawood”, on ne produira pas de sombres films d’arts martiaux qui peinent à trouver un public en Occident.
Un festival chinois de la même envergure que les Oscars
En plus de ses invités de marque, le milliardaire chinois n’a pas non plus lésiné sur les moyens pour peser sur la scène internationale. En effet, Cheryl Isaacs, présidente de la très influente Académie des arts et des sciences du cinéma (Ampas), qui remet chaque année les Oscars à Los Angeles, a annoncé récemment avoir reçu quelque 20 millions de dollars pour son nouveau musée du cinéma. Le généreux donateur n’est autre que le groupe Wanda…
L’institution américaine et le groupe chinois comptent, dès 2016, organiser à Qingdao un festival de cinéma de la même envergure que les manifestations occidentales afin de "remédier à l'absence de films chinois à visibilité mondiale", indique Wanda. Persuadé que les industries cinématographiques chinoises et occidentales ont beaucoup à s’apporter, Hawk Koch, ancien président de l'Ampas, estime qu’il ne s’agit aucunement d’un “concurrent pour les Oscars. Il y a de la place pour tous", a-t-il assuré.
Hollywood a même tout intérêt à se laisser draguer car avec un quota de seulement 34 films étrangers distribués en Chine chaque année, la visibilité et les opportunités de business sont des plus limitées. Pourtant, ces films étrangers sont très populaires auprès du public chinois : ils ont représenté plus de la moitié du box-office en 2012. Alors “maintenant que la Chine s’ouvre volontier à Hollywood, Hollywood va pouvoir aussi s’ouvrir à la Chine”, conclut Jean-Vincent Brisset.