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Télécoms : Bruxelles déçoit sur les frais d'itinérance... mais pas seulement

La vice-présidente de la Commission européenne, Neelie Kroes, a présenté, jeudi, son "paquet télécoms". Un plan qui promettait une révolution du secteur avec notamment la fin des frais d'itinérance, mais qui au final s'avère pour beaucoup décevant.

Frais d'itinérance, neutralité du Net, développement des réseaux mobiles à très haut débit (4G et fibre) : la vice-présidente de la Commission européenne en charge du numérique Neelie Kroes s'est attaquée à tous ces sujets très en vogue. Elle aurait probablement souhaité que son "paquet télécoms" - un ensemble de propositions de réformes des télécommunications en Europe présenté jeudi 12 septembre - soit considéré comme un tournant majeur pour le secteur. Surtout qu'il s'agit du dernier grand chantier de la Commission européenne avant son renouvellement en mai 2014. Pas de chance : son vaste programme est critiqué de toutes parts.

Depuis que Neelie Kroes a fait des frais d'itinérance - un surcoût pour un appel depuis l'étranger - son ennemi juré, elle était attendue au tournant sur cette question. Finalement, son "paquet télécoms" ne propose pas de les abolir, contrairement à ce qu'elle avait laissé entendre en juillet. Seule la surtaxe appliquée par les opérateurs aux appels reçus si on se trouve à l'étranger dans un pays de l'Union européenne devrait disparaître à partir de 2014.

Demi-mesure

"Vous devriez avoir la même offre sur vos messages, données, minutes de communications où que vous soyez en Europe, sans devoir payer plus cher"

Une demi-mesure qui n'empêche pas Neelie Kroes de continuer à assurer que son projet vise à faire disparaître les frais d'itinérance... sans l'imposer. Comment compte-t-elle parvenir à ce miracle ? En offrant aux consommateurs le droit de choisir, une fois à l'étranger, l'opérateur qui propose les frais d'itinérance les plus bas. Le jeu de la concurrence devrait, dans l'esprit de la vice-présidente, faire baisser les prix jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de différence significative entre le tarif des appels nationaux et internationaux.

Un vœu pieux d'après l'association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir. "Il n'y a aucune certitude que les opérateurs jouent le jeu", explique au quotidien "Le Monde" Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles d'UFC-Que Choisir.

Neelie Kroes s'est aussi drapée des habits de grand défenseur de la neutralité du Net. Ce principe selon lequel tous les internautes doivent avoir un même accès à l'intégralité du Web serait "enfin garantie à travers toute l'Union européenne grâce à ces propositions", assure Neelie Kroes. La Commission européenne doit, d'après elle, contrôler que tous les Européens disposent, sans "discrimination et de manière transparente", des mêmes services connectés de base (accès à tout le Web, à des services de téléphonie par Internet comme Skype, etc.)

"Céder aux lobbies des télécoms"

L'Europe, futur paradis de la neutralité du Net, alors qu'aujourd'hui 44 millions d'Européens n'ont, par exemple, pas le droit d'utiliser Skype sur leur téléphone à cause de restrictions décidées par leur opérateur ? Pas si vite selon la Quadrature du Net, l'une des principales associations françaises de défense de la liberté d'expression sur l'Internet. Elle qualifie les propositions de Neelie Kroes de "projet anti-neutralité du Net" et son co-fondateur, Jérémie Zimmermann, fustige la vice-présidente qui "trahit les citoyens européens en cédant aux puissants lobbies télécoms".

La raison de cette ire ? Les propositions du "paquet télécoms" ouvrent la porte à l'instauration de services payants de "meilleure qualité pour ceux qui sont désireux de payer plus". Neelie Kroes reconnaît d'ailleurs qu'elle ne voit pas d'objection à ce qu'il y ait, "comme dans les avions", une "première classe et une classe économique" de l'Internet. Une définition de la neutralité du Net qui ressemble à celle défendue par les principaux opérateurs télécoms.

"Faire plaisir à tout le monde"

Ce plan n'a pas reçu un accueil défavorable que de la part des associations citoyennes. Opérateurs, analystes et professionnels du secteur sont également très réservés. "Les propositions ne vont pas suffisamment loin dans les efforts pour soutenir les investissements dans les infrastructures télécoms en Europe", regrette ainsi Anne Bouverot, directrice de l'association GSM qui défend les intérêts des opérateurs télécoms en Europe.

Pour John Strand, PDG du cabinet d'études danois spécialisé dans les télécommunications Strand Consult, Neelie Kroes oublie l'essentiel dans ses propositions : la nécessité de voir l'émergence d'acteurs majeurs européens. "Par peur politique, elle refuse de reconnaître qu'il faut faciliter la consolidation du secteur - c'est-à-dire l'absorption des opérateurs les plus faibles par les plus gros - afin de créer des géants européens à même de lutter sur un pied d'égalité avec les autres opérateurs mondiaux", assure-t-il.

Cet expert juge qu'en "voulant faire plaisir à tout le monde - consommateurs, entreprises et politiques - Neelie Kroes prend, en fait, le risque de décevoir tout le monde et surtout de ne pas mettre en place les bases d'un espace européen moderne des télécoms".