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La rencontre attendue entre les insurgés afghans et les Américains n’a pas eu lieu jeudi. Kaboul reproche à Washington d’avoir donné une "identité officielle" aux Taliban en leur permettant d'ouvrir une représentation au Qatar.

Avant même d’avoir commencé, les négociations entre les Taliban et les États-Unis, prévues jeudi 20 juin à Doha, ont été annulées à la dernière minute et repoussées sine die. Ces pourparlers auguraient pourtant un tournant de taille dans les relations entre Washington et les insurgés afghans : leur première rencontre officielle depuis le début du conflit en Afghanistan, il y a douze ans.

Mardi 18 juin, une cérémonie officielle avait inauguré, sous l’égide des États-Unis, un bureau pour les Taliban à Doha, au Qatar. Une localisation géographique qui était censée favoriser la tenue d’un dialogue entre les différentes parties. Lors de la cérémonie, le drapeau des Taliban a été hissé et une plaque figurant le nom de l'État voulu par les insurgés, "l'Émirat islamique d'Afghanistan", a été dévoilée. Cette appellation n’est autre que le nom du gouvernement du mouvement islamiste qui fut au pouvoir en Afghanistan de 1996 à 2001.

Une "identité officielle" pour les Taliban

"Avec un tel nom, les Taliban signalent immédiatement qu'ils ne sont ni un parti politique, ni une organisation terroriste, mais plutôt le gouvernement légitime de l'Afghanistan", décrypte Bruce Riedel, chercheur de la Brookings Institution, interrogé par l’AFP. Cette inauguration a de fait été vécue comme un affront insupportable du côté de Kaboul, pour qui Washington a tout simplement donné une "identité officielle" aux Taliban. " Nous avons assisté à quelque chose d’impensable : la naissance d’un deuxième État afghan au Qatar," estime pour sa part Karim Pakzad, chercheur à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste de l’Afghanistan, contacté par FRANCE 24.

En réaction, le président Hamid Karzaï a aussitôt annulé une rencontre bilatérale avec les États-Unis, qui devait porter sur la présence à long terme des forces américaines en Afghanistan. Pour le chef d'État, en effet, Washington ne doit pas se mêler du processus de réconciliation entre Afghans, et encore moins établir des bureaux à l’étranger pour les Taliban. Forts de cette nouvelle adresse qatarie, les insurgés, qui refusent toujours tout contact avec le gouvernement de Kaboul jugé illégitime, ont d’ailleurs précisé qu’elle ne servirait pas uniquement à dialoguer avec les États-Unis, mais également à développer leurs activités politiques dans le monde..

"Les Américains ont pris conscience qu’ils étaient allés trop loin"

Après la colère de Kaboul, l’enthousiasme américain a ainsi laissé place à la désillusion jeudi. "Face à la réaction de Karzaï, les Américains ont pris conscience qu’ils étaient allés trop loin", explique Karim Pakzad. Pour preuve, le drapeau des Taliban au Qatar a été abaissé et l’inscription "l'Émirat islamique d'Afghanistan" retirée. En fâchant Kaboul, les autorités américaines font flancher un processus engagé il y a 18 mois.

Karim Pakzad reconnaît un échec des États-Unis, à tous les niveaux. "La guerre, sur un plan militaire, n’a pas été gagnée, et ils veulent désormais négocier avec les terroristes qu’ils ont cherché à combattre," observe-t-il.

Si la réunion avait eu lieu, des négociations à proprement parler n’auraient pas toute de suite vu le jour. Au préalable, chaque partie aurait énoncé ses conditions : libération de prisonniers de Guantanamo et fin totale de l’occupation du côté taliban. Les États-Unis, quant à eux, exigent des Taliban qu’ils renoncent à la violence, coupent les ponts avec Al-Qaïda et reconnaissent la Constitution afghane. "Rien ne permet de penser que cela va se débloquer rapidement," regrette Karim Pakzad. "L’Afghanistan semble plus proche d’une guerre civile que de la paix."

Mercredi, quelques heures avant l’ouverture du bureau taliban à Doha, une attaque talibane perpétrée contre la base militaire de Bagram, située au nord-est de Kaboul, a tué quatre soldats américains.