
Lancée en septembre 2012 à Paris, Sutka TV est la première chaîne de télévision entièrement destinée aux Roms. Diffusant surtout des émissions culturelles et populaires, elle a d'abord été conçue pour "montrer le vrai visage des Roms". Reportage.
Il en est plutôt fier de sa chaîne de télévision. Andrijano Dzeladin, le fondateur de Sutka City TV, la première chaîne de télévision rom, ne se lasse pas de le rappeler. "C’est la première télé au monde destinée aux Roms, j’y ai mis tout ce que j’avais, toutes mes économies", lance ce Rom de Macédoine dans son impeccable costume gris, un grand sourire aux lèvres.
Sutka a officiellement vu le jour en septembre 2012, quand le bouquet satellite Free a décidé de diffuser la chaîne sur son canal 550. L’idée de sa conception remonte, elle, à l’année 2010 quand, un jour, par hasard, Andrijano, féru d’actualité politique, entend l’animateur Jean-Jacques Bourdin parler de l’expulsion d’un bidonville de Roms sur la radio RMC.
"J’ai appelé la radio, j’avais envie de leur dire que les Roms, c’est pas que ça. Bourdin m’a passé à l’antenne et j’ai dit : ‘Moi, je vais vous montrer notre vrai visage'."
Deux ans plus tard, Sutka est donc née dans le XIXe arrondissement de Paris. À force de persévérance et d’une obstination rare. "J’ai ramé. Je me suis débrouillé. J’ai commencé ‘à la macédonienne’, comme on dit. J’ai tout appris tout seul. Mais j’ai réussi. Je voulais montrer que les Roms ne sont pas tous des délinquants, des voleurs. Nous avons une culture, un hymne, un drapeau, une intégrité, explique-t-il. Nous pouvons être journalistes, docteurs, peintres, médecins. Mais ça, trop peu de personnes le savent."
Cette chaîne c’est donc aussi un peu un exutoire cathodique, une façon de se défaire des préjugés et d’exister pleinement. "Dans toutes nos émissions, nous tenons à parler le romanais. Nous pouvons parler le français, un peu l’anglais, ça dépend de la langue de l’interlocuteur mais, en général, nous parlons notre langue, nos dialectes", ajoute-t-il.
"Les Roms veulent partager leur point de vue"
Sur Sutka, la plupart des émissions - culinaires, culturelles et musicales principalement - font intervenir des auditeurs. Ces derniers débattent, en direct, de sujets tels que les rites de naissance, de mariage, d’enterrement, s’échangent des recettes de cuisines… "Que l’on vienne de Serbie, de Macédoine, de Roumanie, de Bulgarie ou ailleurs, les coutumes changent et les gens veulent partager leur point de vue.
Le succès est au rendez-vous, affirme Andrijano. Il y a des moments où le téléphone sonne en continu. En une heure d’émission, il y a parfois 32 coups de fil. Une fois, il y a eu entre 800 et 1 200 appels sur le répondeur en deux heures", explique-t-il, grisé à l’évocation de ce souvenir.
Un petit succès qui cache toutefois encore mal les déficiences de la jeune chaîne. Il faut dire que chez Sutka TV, il n’y a pour l’instant que deux employés, Andrijano et son "bras droit". Le fondateur de la chaîne fait donc presque tout, seul : la présentation, la technique, la régie, le marketing et l’achat de matériel. Alors forcément, parfois, c’est un peu la pagaille. "Il y a quelques ratés, quelques couacs, reconnaît-il. Le technicien ne baisse pas le son quand il faut, il manque une télécommande…" Et puis, il y a le manque de place. Les locaux, situés dans un appartement, ne sont pas destinés à abriter une chaîne de télévision. Les consoles côtoient les sachets de café, le salon fait office de plateau tandis que les deux autres pièces servent de bureau et de régie.
"Oui, c’est pas France télévisions ou TF1", reconnaît-il, mais qu’importe. Andrijano est extrêmement fier de "son bébé" - qu’il chérit presque autant que ses trois enfants. La chaîne a d’ailleurs vu le jour le 19 septembre 2012, le jour de la naissance de sa troisième fille. "J’ai dû choisir entre l’hôpital pour être avec ma femme et les bureaux pour lancer ma télé", se souvient-il. Il choisira finalement les bureaux, "un peu à contrecœur". "Mais que voulez-vous…", se justifie-t-il, "ma fille avait sa mère, Sutka n’avait que moi".