
Venu présenté, ce vendredi, son livre "L’Invention d’une démocratie" à l’Institut du monde arabe, à Paris, le président tunisien, Moncef Marzouki, s'est fait accueillir par une centaine de manifestants déçus par son exercice du pouvoir.
Certes, cela n’a jamais été le grand amour entre le président tunisien, Moncef Marzouki, et une grande partie de ses concitoyens. À l’occasion de sa deuxième visite en France, ce vendredi 12 avril, une centaine de Tunisiens de France n’ont pas manqué de le lui rappeler. À grand renfort de pancartes et de slogans, les manifestants, rassemblés non loin de l’Institut du monde arabe, à Paris, où le président est venu présenter son ouvrage "L’invention d’une démocratie : les leçons de l’expérience tunisienne", sont venus protester contre cette venue jugée aussi "honteuse" que "ridicule".
"Quel faux intellectuel, quel faux jeton ! Il vient à Paris, se présente comme un petit Voltaire, un ardent défenseur des droits de l’Homme, un admirateur de Robespierre, alors qu’à Tunis, la réalité est bien différente, il est constamment critiqué pour son hypocrisie", s’insurge Nejib Baccouchi, un ancien détenu politique, qui vit en France depuis 10 ans. "Qu’a-t-il fait depuis la révolution ? Rien, absolument rien. Depuis la chute de Ben Ali, qu’a-t-on gagné ? Des voiles en plus, des niqabs en plus et l’insécurité en plus", ajoute-t-il.
"Les mains liées, la bouche bâillonnée par les islamistes"
Dans la foule, malmenée par la grêle et un impressionnant déploiement des forces de l'ordre, les commentaires acerbes abondent. Un an et demi après son arrivée au pouvoir, Moncef Marzouki continue de voir son image de leader fortement éreintée. À son "incompétence politique notoire", les Tunisiens de France s’étonnent aussi de son "amitié" avec les Qataris et de sa "bienveillance" à l’égard des islamistes. Il faut dire qu'en Tunisie, c’est bien le parti islamiste Ennahda, majoritaire à l’Assemblée, qui concentre les pouvoirs.
"C’est un 'tartour' [pantin, en français], qui a les mains liés et la bouche bâillonnée par Ennahda", confie de son côté Mohamed Gharbi, militant de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Tout le monde sait que ce sont les islamistes qui ont exécuté Chokri Belaïd [opposant tunisien assassiné le 6 février]. Il n’a rien fait. Il paraît même qu’il aurait reçu les suspects dans son palais à Carthage."
"Extrémistes laïcs"
En plus de sa "traîtrise politique", beaucoup déplorent son laxisme face à l’explosion du chômage et de la misère sociale. "Non, mais franchement, vous connaissez beaucoup de présidents en exercice qui ont le temps d’écrire un livre pendant leur mandat et de venir à l’étranger le présenter alors que la crise ravage leur pays ?, ironise Emna Ben Moussa, une étudiante franco-tunisienne de 23 ans venue avec ses amis. C’est scandaleux, il faudrait vraiment qu’il quitte le pouvoir." À ses côtés, Younès, étudiant lui aussi, s’inquiète surtout du virage politique emprunté par le président. "Il utilise des mots dangereux : il parle d’'extrémistes laïcs’ et d’’islamisme modéré’… On ne le comprend pas, à quel jeu joue-t-il ? Pour un ancien droit de l’hommiste, c’est assez ironique, son vocabulaire a bien changé…"
Il y a deux semaines, dans une interview accordée à la chaîne d'informations qatarie Al-Jazira, Moncef Marzouki a affirmé que les "extrémistes laïcs" risquaient la pendaison "s’ils réussissaient à s’emparer un jour et par n’importe quelle manière du pouvoir". Une mise en garde qui a atterré les manifestants dont quelques-uns sont venus parés d’une corde autour du cou en guise provocation. "Il essaie de nous effrayer en brandissant la menace de l’échafaud. Moi je suis prêt à être pendu. Mais qu’il prenne garde lui aussi à ne pas finir sous une corde ou sous une guillotine", confie Khaled, la soixantaine, les cheveux balayés par la pluie. "Monsieur se donne des grands airs, Monsieur se prend pour Voltaire, il finira comme Robespierre !"