
Condamné par contumace à deux ans de prison ferme pour, notamment, "atteinte aux bonnes mœurs", le rappeur Weld El 15 refuse de se rendre aux autorités tunisiennes. Il s'explique par courriel à FRANCE 24.
Le rappeur Weld El 15 joue au chat et à la souris avec les autorités tunisiennes. Depuis qu’il a publié, le 3 mars, sur Internet un clip vidéo "Boulicia Kleb" ("Les policiers sont des chiens") et que deux de ses compagnons d’aventure, le vidéaste et une actrice, ont été arrêtés le 10 mars et leurs photos publiées sur Facebook, le musicien est en cavale. Il a répondu à une interview par courriel pour FRANCE 24 dans laquelle il dit ne rien regretter et s’apprêter à tourner un nouveau clip.
Le jeune rappeur continue ainsi de défier la police tunisienne, malgré la condamnation à deux ans de prison ferme qui a été prononcée à son encontre par contumace, vendredi 22 mars, par le tribunal de première instance de Ben Arous. Dans son clip vidéo "Boulicia Kleb", Ala Yaacoubi, alias Weld El 15, chante que les policiers mériteraient d’être "égorgés à la place du mouton de l’Aïd", ce qui a fortement déplu à la police comme à la justice. "Atteinte aux bonnes mœurs", "complot formé pour commettre des violences contre des fonctionnaires" et calomnie de fonctionnaires, voilà pour les chefs d’inculpation. L’avocat du rappeur va faire appel du verdict qu’il juge "sévère".
De son côté, Weld El 15 "ne regrette pas et ne regrettera jamais" son clip ni ses paroles. Le jeune musicien refuse de se rendre aux autorités pour une question de "liberté d’expression". "Je n’ai plus confiance dans la justice qui est manipulée par le gouvernement, écrit-il à FRANCE 24. J’aimerais bien savoir de quel droit et selon quelle loi le juge a pris la décision de me mettre en prison."
"J'ai utilisé leur propre langage"
Alors que les Tunisiens se plaignent régulièrement de leur police - les récits d’humiliation ne sont pas rares - Weld El 15 assure ne faire que répondre à la violence verbale par de la violence verbale : "J’ai utilisé leur propre langage !"
Depuis le début de l’affaire, le rappeur dit recevoir des messages violents de la part d’agents des forces de l’ordre. "Il y a des policiers qui profèrent des menaces sur leur page Facebook et qui n’arrêtent pas de m’envoyer des messages privés du style ‘si on t’attrape vivant, tu ne sortiras que mort’".
Lui qui a déjà connu la prison pour une affaire de drogue – il a purgé une peine de huit mois de détention de mars à octobre 2012 pour détention de cannabis -, remarque que "Ennahda veut recréer l’époque Ben Ali. Ce dernier les a mis en prison. Ils [les islamistes au pouvoir] veulent nous faire subir le même destin ; ils veulent faire taire les jeunes ! Mais on ne cédera pas."
Nouveau clip en préparation
Weld El 15 annonce avoir fini d’écrire une nouvelle chanson dédicacée à Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahda, et au chef de l'État, Moncef Marzouki. "La chanson sortira bientôt... Je suis juste en train de chercher un terrain sécurisé pour le tournage !"
Le rappeur doit en effet protéger les personnes avec qui il travaille. L’équipe qui a participé au tournage du clip "Boulicia Kleb" a également été condamnée par le tribunal de Ben Arous. Le vidéaste Mohamed Elhédi Belaied Hssine et l’actrice Sabrine Klibi, qui avaient été arrêtés par la police et ont passé plusieurs nuits derrière les barreaux, ont écopé de six mois d’emprisonnement avec sursis avant d'être relâchés, tandis que trois rappeurs, dont Emino, ont été jugés par contumace à deux ans de prison ferme. Ces derniers ne figurent pas dans le clip. Leur nom est juste cité dans les remerciements de fin.
Ces condamnations sont amplement commentées sur Internet. Weld El 15 est en passe de devenir la nouvelle figure de proue de la liberté d’expression, aux côtés des tagueurs du collectif Zwewla, dont le procès vient d’être ajourné au 10 avril prochain.
Pour défendre le rappeur, le célèbre dessinateur -Z- il a publié sur son blog un texte qui s’intitule "Les poulets sont des chiens". Il ironise : "Sa chanson anti-flic, où il appelle à égorger les poulets n’a pas trop plu aux poulets". Et le caricaturiste de s’en prendre au "système" qui "manifeste sa toute puissance contre la ‘violence symbolique’ des artistes mais ne mouftera point quand il s’agit de la violence bien réelle de ses propres agents…"
Condamnations détournées en gag
Dans son billet de blog, -Z- a poussé la provocation jusqu’à publier un dessin montrant des policiers à têtes de chien devant le "mi-niche-tère de l’Intérieur". "Avertissement !", lance le caricaturiste en forme de boutade : "L'auteur de l'illustration ci-dessus encourt jusqu'à deux ans de prison ferme. La reproduction de l'œuvre est passible d'un an de prison ferme. Le partage sur FB [Facebook] est passible de 6 mois de prison avec sursis. Un 'j'aime' est passible d'une amende de 500 dinars."
Même Weld El 15 parvient à rire de la situation. Sa pirouette favorite pour terminer son message n’est autre que : "Vous voulez que je vous fasse un remerciement ? Hihi, vous allez vous retrouver avec deux ans de prison…"