Une enquête du "Financial Times" révèle que, parmi les entreprises privées bénéficiaires des milliards de dollars investis par les États-Unis au cours de la décennie pour l'effort de reconstruction en Irak, dix sociétés en ont largement tiré profit.
Dix ans après la guerre en Irak, la société américaine de construction, d'ingénierie et de milice privée KBR apparaît comme le grand gagnant des sommes considérables investies par les États-Unis pour reconstruire le pays. Cette ancienne filiale de Halliburton - le géant de l’exploitation pétrolière dirigé jusqu’en 2000 par Dick Cheney, l’un des principaux conseillers du président Georges W. Bush - a reçu depuis 2003 plus de 39 milliards de dollars des autorités américaines, d’après une enquête du quotidien britannique le “Financial Times” publiée lundi 18 mars.
Contacté par le quotidien britannique, KBR, qui n’a pas nié le montant des sommes, a souligné que la société avait agi “avec honneur et sens du sacrifice dans un environnement hostile”. Le groupe a rappelé qu’il avait servi en Irak un milliard de repas et produit plus de 94 milliards de litres d’eau potable.
Très loin derrière KBR, deux entités du Koweït - le groupe de logistique Agility Logistic et la compagnie nationale de pétrole Kuwait Petroleum Corporation - occupent la deuxième et troisième place du Top 10 des heureux bénéficiaires du programme de reconstruction.
Au total, Washington a dépensé pas moins de 138 milliards de dollars en une décennie pour financer la reconstruction et la sécurité en Irak, affirme le "Financial Times", qui a pu éplucher l'ensemble des contrats publics négociés durant cette période. Une somme colossale, qui pourrait l'être davantage. Le quotidien reconnaît, en effet, qu’il était parfois difficile d’identifier certaines sociétés qui se sont donné du mal pour brouiller les pistes en utilisant des noms différents.
Fraudes et gaspillages
Des chiffres qui reflètent à quel point l’Irak après l’invasion américaine de 2003 s’est transformé en gros gâteau que se sont partagées quelques sociétés privées. “Aux alentours de 2005 - 2006, il y avait plus d’employés de ces groupes privés que de soldats américains en Irak”, rappelle le "Financial Times".
“Ces données sont choquantes et rappellent à quel point l’argent des contribuables américains a été mis à contribution dans des projets qui n’ont, au final, pas fait grand chose pour améliorer la situation sur place”, a souligné au "Financial Times" Claire McCaskill, une sénatrice américaine du parti démocrate qui milite pour encadrer plus strictement ce type de contrats.
Car l’utilisation de ces fonds publics par des société privées n’en finit pas de nourrir la polémique aux États-Unis, à l’heure où le pays traque les économies. Fraudes, gaspillages et absence de suivi des contrats : telles sont les conclusions du rapport final de l’inspecteur américain pour la reconstruction en Irak, Stuart Bowen, qui a été soumis au Sénat américain le 6 mars 2013.
Coût financier d’Abu Ghraib
Le général Bowen rappelle, dans ce document, qu’en 2005 les États-Unis dépensaient en moyenne 25 millions de dollars par jour en Irak. Il n’existe pourtant aucune trace écrite de la finalité de ces sommes distribuées aux Irakiens et aux sociétés privées, indique le rapport.
Certaines entreprises n’ont pas hésité à surévaluer grossièrement le prix de fournitures livrées à l’armée et aux autorités américaines. Une société basée à Dubaï a ainsi facturé des stocks d’interrupteurs et de matériel de plomberie de 3 000 à 12 000 % plus cher que les prix du marché, souligne Stuart Bowen.
Le scandale des maltraitances américaines à la prison d’Abu Ghraib fin 2003 a également eu d’importantes conséquences financières, d’après le rapport. Face à l’hostilité de la population locale, les États-Unis ont dû allouer des milliards, prévus initialement à la reconstruction des infrastructures du pays, à la sécurité des militaires.
Mais le pire, d’après le général Stuart Bowen, est que l’administration américaine ne semble pas avoir appris de l’expérience irakienne. Il n’existe toujours pas d’autorité unique aux États-Unis pour superviser les dépenses publiques liées aux efforts de reconstruction ou d’accompagnement des conflits armés. Une absence qui, d’après le rapport, laisse la porte ouverte à de futurs abus et gaspillages.