
Un Chinois, alias Rocy Bird sur Internet, a décrit son quotiden de cyber-soldat à la solde de Pékin sur un blog. Si le jeune homme ne cite jamais son employeur, plusieurs indices laissent penser que le récit est véridique.
Il écrit sur ses peines de cœur, cite le questionnaire de Proust et se plaint à longueur de pages de ses conditions de travail. Comme pourrait le faire n’importe quel jeune homme de 25 ans mal dans ses baskets.
À un détail près. “Prison Break” est un blog tenu par Rocy Bird, un Chinois qui - entre 2006 et fin 2008 - a gagné sa vie en développant des virus informatiques et autres outils pour mener des cyberattaques. Découvert mercredi 13 mars par le "Los Angeles Times", il s’agit, d’après ce quotidien de la Côte ouest américaine, du journal intime d’un hacker à la solde du régime chinois.
Une découverte qui arrive à point nommé. Pour la première fois, le président des États-Unis Barack Obama a officiellement accusé Pékin, mercredi, de soutenir des cyberattaques contre l’Amérique. “Ce blog est le témoignage le plus détaillé, à ce jour, du quotidien à l’intérieur de l’unité de l’armée de libération chinoise en charge des cyber-opérations chinoises”, affirme au "Los Angeles Times" Richard Bejtlich, l’un des experts de la société de sécurité informatique Mandiant qui a écrit un rapport détaillant par le menu le fonctionnement de cette désormais fameuse unité 61938.
Le nom de l’employeur de Rocy Bird n’est jamais cité au fil de la soixantaine de pages d’entrées du blog. Mais FRANCE 24 a relevé, notamment en 2007, plusieurs posts dans lesquels ce Chinois évoque le développement de logiciels malveillants tels que des chevaux de Troie [des programmes qui permettent de prendre le contrôle à distance d’ordinateurs infectés, NDLR] et l’examen de faille de sécurité dans des programmes de Microsoft pour son “boss”. Il raconte également en détail sa vie à Shanghai, ville où, selon Mandiant, se trouve l’immeuble abritant les centaines de cyber-militaires chinois.
Autant d’indices qui semblent indiquer que Rocy Bird est bien l’un des rares pirates informatiques travaillant pour le compte de Pékin à s'être épanché en long, en large et en ligne sur sa condition de petite main de la cyber-armée de l’ex-Empire du milieu. Et il n’en est pas content.
Mauvaise paie et frustrations
Rocy Bird raconte que ses journées de travail commence à 8 du matin pour s’arrêter officiellement à 17h30. Mais, il doit souvent faire des heures supplémentaires pour “tenir les délais qui lui sont imposés”. Un rythme de travail qui l’épuise et lui permet à peine d’avoir une vie sociale. Les heures passées en dehors de son bureau dans “le dortoir” où il vit sont essentiellement consacrées à surfer sur Internet et à regarder des séries américaines comme “Prison Break”.
Un travail harassant pour lequel ce jeune informaticien estime ne toucher qu’un “salaire très faible” qui lui “suffit à peine pour s’acheter un nouveau téléphone portable”. L’argent semble être une obsession pour Rocy qui écrit souvent sur les fluctuations des marchés financiers. Il reconnaît également être jaloux de certains de ses ex-camarades de promo, note le "Los Angeles Times", qui “sont devenus consultants, avocats ou se sont lancés dans une carrière dans l’immobilier”.
Si son salaire l’énerve, son patron l’agace... et l’intimide. Le blogueur se plaint souvent des objectifs que son chef lui fixe, mais se réjouit lorsqu’il réussit à être dans les temps car ainsi il “peut espérer toucher la prime annuelle”, comme le relève le "Los Angeles Times". Rocy Bird s’irrite aussi que son supérieur refuse de lui prêter un peu d’argent pour un ticket de bus alors que ce dernier “réclame 100 dollars pour une bouteille d’alcool”. Autre épisode qui lui est resté en travers de la gorge : alors que son chef exige qu’il perfectionne son anglais, il refuse de le voir lire trop longtemps des journaux américains, jugé subversifs.
Autant de frustrations et de déconvenues qui ont poussé Rocy Bird a quitter son travail d’expert en piratage informatique fin 2008. Dans l’un des derniers billets qu’il a postés sur son blog - il ne l’alimente plus depuis 2009 - il s’exclame “nouvelle vie ! nouveau travail ! nouveaux collègues et nouveau patron !”. Une joie de courte durée et quelques billets plus tard, ce jeune homme revient à ses critiques contre le stress des heures suplémentaires.