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Affaire des faux pirates : rien ne va plus entre Rome et New Delhi

À l'origine du différent qui oppose l'Italie et l'Inde, deux militaires italiens incarcérés en Inde pour le meurtre de deux pêcheurs. Libérés provisoirement, les deux hommes, soutenus par Rome, refusent de rentrer à New Delhi pour y être jugés.

Les relations entre Rome et New Delhi ont pris, ces dernières semaines, des airs de Guerre froide. Les aéroports indiens ont été placés vendredi en alerte pour empêcher l'ambassadeur d'Italie de quitter le pays. L'origine du différent repose sur les meurtres de deux pêcheurs, pris pour des pirates, par deux fusiliers-marins italiens. Incarcérés et libérés provisoirement par la justice indienne, les deux soldats, soutenu par Rome, ne sont jamais rentrés en Inde pour y être jugés.

Faux pirates

L’affaire commence le 15 février 2012. Au large des côtes du Kerala, situé au sud-ouest de l'Inde, deux militaires, chargés d’assurer la sécurité sur un pétrolier italien, tuent deux pêcheurs indiens, qu'ils affirment avoir pris pour des pirates.

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Les explications du correspondant de FRANCE 24

Arrêtés pour meurtre et emprisonnés à Thiruvananthapuram, dans l'État du Kerala, les soldats sont autorisés à rentrer en Italie le 23 février dernier par la Cour suprême indienne pour voter aux législatives, l’Italie n'autorisant par le vote par voie postale. Mais les soldats ne sont finalement jamais rentrés en Inde. Si Rome reconnaît la responsabilité des militaires, elle estime néanmoins que leur cas ne relève pas de la justice indienne puisque les faits se sont produits dans les eaux internationales.

Le Premier ministre indien accuse Rome de violer "toutes les règles de la diplomatie" et a prévenu "qu'il y aurait des conséquences sur les relations italo-indiennes" si les deux hommes n'étaient pas renvoyés en Inde.

"L’Inde a été d’une naïveté coupable"

Bien décidée à ne pas laisser filer l’ambassadeur italien, la Cour suprême indienne, la plus haute juridiction du pays, a rendu jeudi 14 mars une décision interdisant à l’ambassadeur italien, Daniele Mancini, de quitter sans autorisation le territoire d'ici lundi 18 mars, date de la prochaine audience sur cette affaire.

Une décision qui va à l’encontre des normes diplomatiques qui garantissent la liberté de mouvement des ambassadeurs étrangers. Selon l'article 29 de la convention de Vienne, les diplomates ne doivent pas "être astreints à toute forme d'arrestation ou de détention".

Dans un entretien accordé à FRANCE 24, Raphaël Gutmann, professeur à l’ESG Management School et auteur du livre, "Entre castes et classes", affirme que "l’Inde a été d’une naïveté coupable en ayant laissé partir les deux Italiens accusés de meurtre pour une simple histoire d’élections législatives". Le spécialiste de l’Inde dénonce également le manque d’honnête de la diplomatie italienne qui n’a pas respecté ses engagements. "La volte-face des Italiens témoigne d’un grand mépris qui a été très mal vécu en Inde", renchérit Raphaël Gutmann.

Crise politique indienne

Le différend diplomatique n’est pas sans conséquences pour la politique indienne. L’affaire, qui a provoqué un tollé au Parlement indien, met le gouvernement du Premier ministre, Manmohan Singh, sous pression. L’opposition n’a pas manqué de profiter de l’incident pour discréditer un gouvernement déjà fébrile. "Le gouvernement Singh traverse une grave crise sociale, avec les récentes affaires de viols, et une crise politique en raison des affaires de corruption qui datent de la fin de l'année 2012", avance Raphaël Gutmann. "Le conflit italo-indien ne signe pas pour autant la fin du gouvernement indien mais jette un lourd discrédit", assure le spécialiste.

Au regard du professeur de l'ESG Management Scool, la crise touche également une grande figure de la politique indienne. Sonia Gandhi, la présidente du parti du Congrès au pouvoir, d'origine italienne, se retrouve, elle aussi, dans une position bien inconfortable.

Une issue possible ?

Mira Kamdar, chercheuse au World Policy Institute, ne voit pas d’issue à cette affaire. "Il n’y a que très peu d’espoir pour que l’Italie accepte de soumettre ses militaires à la justice indienne", assure la spécialiste de l’Inde à FRANCE 24.

"Si l’affaire n’entraîne pas de rupture diplomatique entre les deux pays, les relations sont pourtant bel et bien gelées", estime Constantin Simon, correspondant de FRANCE 24 à New Dehli.

Les liens entre les deux nations étaient déjà mis à mal par un récent scandale de corruption, dans lequel une entreprise italienne a été accusée d’avoir payé des commissions pour vendre des hélicoptères militaires en Inde.