"Searching for Sugar Man" est un documentaire sur le musicien américain Sixto Rodriguez, parfait inconnu aux États-Unis, mais une star adulée en Afrique du Sud, où tout le monde croyait ce dernier mort...
"La réalité est toujours plus forte que la fiction", dit un dicton populaire, - inspiré du poète romantique britannique Lord Byron. Jamais ces propos ne se sont révélés aussi justes que dans le documentaire "Searching for Sugar Man" (au cinéma depuis le 26 décembre).
À première vue, le "pitch" apparaît pour le moins cocasse : un réalisateur suédois enquête sur un rockeur américain dont la carrière s'est éteinte avant même d’avoir commencé. Mais qui, à son insu, est devenu une icône pour les Sud-Africains, convaincus que le chanteur était mort. Alors que nombre de documentaires traitent de la guerre, la maladie, le meurtre ou la politique, il est quelque peu ahurissant de découvrir un film, qui n’est pas une fiction mais plutôt un conte de fée bien réel, qui procure le bien-être que procure une comédie hollywoodienne grand public.
C'est précisément ce que Malik Bendjelloul, un réalisateur âgé de 35 ans, auteur de plusieurs documentaires sur la musique pour la télévision suédoise, a mis au point dans "Searching for Sugar Man". Il n'est guère surprenant que son film ait glané plusieurs prix au festival du cinéma indépendant de Sundance, l'hiver dernier, au point d'être un des favoris pour l'Oscar du meilleur documentaire.
La bande-annonce du documentaire
Parfait inconnu aux US, légende en Afrique du Sud
S’il est grand public, "Searching for Sugar Man" est également l'histoire d'espoirs déçus et de talent contrarié du chanteur-compositeur américain d’origine mexicaine Sixto Rodriguez. En 1970, il sort un disque qui recueille les louanges de la critique et des producteurs. Mais l’album est un tel flop commercial, que l’artiste est renvoyé dans l'ombre.
Par coïncidence, son opus atterri en Afrique du Sud, où il devient rapidement culte au point de catapulter Rodriguez au panthéon des idoles musicales, aux côtés de Bob Dylan et des Beatles. Le chanteur, à la voix claire et lugubre, sa guitare acoustique, et ses paroles farouchement anticonformistes, ont livré une bande-son particulièrement adaptée au mouvement des progressistes afrikaners, alors en plein essor, qui se battait pour mettre fin à l'apartheid.
Or les légions grandissantes de fans de Rodriguez ignoraient tout de leur idole. Et pour cause, ils n'avaient accès à aucune information sur l'actualité de Sixto Rodriguez, Internet n'existait pas encore, et leur pays était frappé par un boycott culturel international. Ce qui renforça la crédibilité d’une rumeur circulant sur la mort du chanteur, qui se serait suicidé sur scène à Detroit. Alors que pendant ce temps là, Sixto Rodriguez, qui était bel et bien vivant, à Detroit, gagnait sa vie en tant qu’ouvrier dans le bâtiment, ignorant tout de son succès fulgurant en Afrique du Sud.
Le documentaire de 80 minutes, fort de témoignages, d’images d'archives et d’une bande son tirée de la musique de l’artiste, nous conduit sur le chemin plutôt surréaliste qui l’a mené jusqu’à ses adorateurs et à une reconnaissance qu'il n'a jamais connue dans son pays.
Un artiste énigmatique
Pour parvenir à ce résultat, un vrai travail de détective a été nécessaire. Le réalisateur Malik Bendjelloul s’est concentré sur deux Sud-Africains, Stephen Segerman, un amateur de rock, et Craig Bartholomew-Strydom, un journaliste musical, qui ont uni leurs forces pour résoudre le mystère Sixto Rodriguez. Et savoir ce qu’il est advenu des royalties sur les ventes de ses disques en Afrique du Sud.
Malik Bendjelloul entremêle leur histoire avec celle de proches de Rodriguez qui expriment une perplexité teintée de nostalgie face à son échec (ou celui du public américain qui n’a pas su l’adopter), avant de nous emmener vers un troisième récit : la rencontre avec Sixto Rodriguez en personne.
Ce dernier ressemble beaucoup aux rock stars vieillissantes, avec des cheveux hirsutes, un visage buriné, et des lunettes noires. Loin d’être blasé, le chanteur apparaît au contraire remarquablement serein : à la fois amusé et touché par sa glorification sud-africaine.
Dans le documentaire, ses trois filles et un de ses collègues dépeignent Rodriguez comme étant toujours habité par le militantisme, notamment pour la défense des personnes en difficultés (il a brigué, en vain, la mairie de Detroit). Mais aussi comme un homme appréciant les choses simples: le travail, la famille, et la musique, qu'il ne perçoit pas forcément comme une source de gloire ou d’argent.
"Searching for Sugar Man" est intentionnellement hagiographique : le film relate moins l’histoire d'un homme que celle d'un mythe. L 'absence de réponses concernant les raisons exactes de l’échec de Rodriguez en Amérique, l'abandon de sa carrière, et sa réaction ambivalente face à sa célébrité naissante semblent nourrir ce mythe.
À travers ce documentaire, Malik Bendjelloul rend un bel hommage à un artiste énigmatique qui ne fut pas prophète en son pays.