
De la situation en Syrie au conflit israélo-palestinien en passant par la crise politique en Égypte, l'ancien chef de la diplomatie française Hubert Védrine livre à FRANCE 24 son point de vue sur les évènements qui secouent le Moyen-Orient.
Ancien ministre des Affaires étrangères de la France de 1997 à 2002, Hubert Védrine reste un observateur avisé de la scène internationale et de la diplomatie. De la situation chaotique en Syrie aux récents soubresauts du conflit israélo-palestinien et à l’agitation en cours en Egypte, il livre à FRANCE 24 une analyse critique sur les évènements qui secouent le monde arabe et le Moyen-Orient. Entretien.
FRANCE 24 : Quel regard portez-vous sur la crise en Syrie et sur la position de la France, qui a reconnu en premier la coalition de l’opposition au régime syrien?
Hubert Védrine : Tout le monde souhaite maintenant un changement de régime. Il y a une hésitation en Syrie, car même ceux qui trouvent la répression abominable, et elle l’est, ont des craintes concernant l’après-Assad. Mais on voit que ce régime va finir par tomber, d’une façon ou d’une d’autre. En reconnaissant en premier la coalition de l’opposition syrienne, la France a hâté le mouvement, et si ses alliés ont été plus réticents, il n’y a pas pour autant de désaccord sur l’objectif [la chute du régime syrien, NDLR]. On voit même que du côté des Russes, il y a des petits signaux, faibles, mais qui montrent que Moscou commence à se poser la question et à intégrer le fait que ce régime va finir par tomber. La vraie question est : est-ce que ces différents pays peuvent reconstituer une vision commune pour gérer l’après-Assad afin d'éviter que la Syrie ne sombre dans une guerre civile encore plus longue et cruelle. Cela suppose une convergence, ratée à l’origine, entre les Européens, les Américains, les Turcs, les pays arabes les plus engagés, c'est-à-dire l’Arabie saoudite et le Qatar, et enfin les Russes. Une partie de la suite se joue-là.
F24 : La situation se tend en Tunisie et en Egypte, où l'on assiste à des affrontements dans la rue entre les islamistes au pouvoir et les forces d’opposition plus libérales. Quelle est votre opinion sur ces questions, près de deux ans après le début du "printemps arabe" ?
H.V : Il s’agit d’un réveil volcanique des peuples arabes, qui prennent leurs destins en main à travers ces révolutions. Mais dans à peu près chaque pays concerné, vous avez des forces en compétition pour la suite. En Egypte, l'armée est toujours là, et ce n’est pas parce que le président Mohamed Morsi a pris le pas sur les militaires qu’ils ne jouent plus de rôle. Il y a ensuite la société civile, plus au moins vivace, et on voit qu’elle résiste, que ce soit en Egypte ou en Tunisie. Et puis il y a la mouvance des Frères musulmans, qui va peut-être se différencier entre une tendance plus réaliste, parce que lorsqu’on est au gouvernement c’est différent, et d’autres qui vont rester fondamentalistes ou vont se durcir. Sans oublier les salafistes, pour ne pas dire les djihadistes, etc. Reste à savoir où cela va craquer, on ne sait pas, cela dépendra de chaque pays. En Egypte, on ne peut pas dire que les Frères musulmans soient entièrement maîtres du jeu, sinon le président Morsi ne serait pas obligé de reculer un peu ou de faire semblant de reculer. Ce n’est pas étonnant, un processus de démocratisation ne se fait pas du jour au lendemain, cela peut prendre des années avant que les choses ne se stabilisent.
F24 : Récemment les armes ont à nouveau parlé entre Palestiniens et Israéliens dans la bande de Gaza. Les négociations de paix étant au point mort, comment analysez-vous ces derniers développements ?
H.V : Si la question palestinienne avait été traitée à temps, à l’époque de Yasser Arafat, sur la base de nationalismes contraires mais sur lesquels un accord pouvait être conclu, ce dossier aurait pu être réglé. Notamment si le Premier ministre israélien Itzhak Rabin n’avait pas été assassiné (…). Malheureusement à long terme, il y aura en Israël, non pas une majorité de l’opinion, mais des gens qui ne voudront jamais faire de concessions ou de compromis. [Pour ces derniers, NDLR] plus le Hamas est fort, moins il est possible de discuter (…). D’autres vont finir par dire, comme ils avaient déjà accepté de faire avec l’OLP [Organisation de libération de la Palestine, fondée par Yasser Arafat, NDLR], qu’il faut, si on veut un accord, parler aux Palestiniens tels qu’ils sont, y compris le Hamas (…). Mais le camp de la paix n’étant pas un parti, cette disponibilité majoritaire de l’opinion publique israélienne, raisonnable sur ce point, ne se traduit jamais en position politique ni en programme gouvernemental. C’est l’une des équations du verrouillage actuel.