L'ultimatum fixé par la Cour européenne des droits de l’Homme au Royaume-Uni concernant le droit de vote des détenus prend fin vendredi. Au nom de la souveraineté de son Parlement, Londres a toujours refusé de se plier aux exigences européennes.
La saga dure depuis sept ans. Entre la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et Londres, le torchon brûle. Et l’incendie ne semble pas près de s’éteindre. Au centre du désaccord : le droit de vote des détenus, que le Royaume-Uni interdit purement et simplement depuis la loi de 1983 sur la représentation du peuple. Or, en 2005, la CEDH a jugé que Londres contrevenait à la convention européenne des droits de l’Homme en interdisant systématiquement à tous les prisonniers le droit de voter, quelle que soit la durée de leur peine et la nature de leur condamnation (arrêt Hirst). La décision a été confirmée maintes fois : en avril 2010 contre l’Autriche, en 2011 de nouveau contre le Royaume-Uni, puis en mai 2012 contre l’Italie.
En France, les personnes condamnées à des peines inférieures ou égales à cinq ans de prison peuvent voter. Il en est de même pour ceux qui ont écopé d’une peine supérieure à cinq ans mais qui ont exécuté la moitié de leur peine. Leur droit de vote reste en revanche soumis à l’appréciation de l’autorité judiciaire. Mais les détenus condamnés pour corruption, détournement d’argent ou de bien public ou menace contre des personnes exerçant une fonction publique sont déchus de leur droit de vote.
En Allemagne, en Norvège et au Portugal, les prisonniers perdent leur droit de vote s’ils ont été condamnés pour des crimes contre l’État ou l’ordre démocratique.
En Italie et en Grèce, le droit de vote dépend de l’importance de la condamnation. Les criminels condamnés à perpétuité le perdent systématiquement.
Jamais, en sept ans, Londres n’a plié devant la pression de la CEDH. Le comité des ministres du Conseil de l’Europe a haussé le ton, en 2009, mais le Royaume-Uni s’est entêté, la Chambre des communes allant même jusqu’à voter, en février 2011, une motion réaffirmant l’interdiction du vote à tous les détenus. Cette fois cependant, la défiance britannique à l’égard de la cour de Strasbourg pourrait franchir un nouveau palier. Alors que la CEDH a donné jusqu’au vendredi 23 novembre pour appliquer sa décision, le gouvernement de David Cameron, poussé par l’aile ultra-conservatrice et europhobe du parti conservateur, envisage de présenter un projet de loi au Parlement dans les mois qui viennent. Les députés auront trois options : réaffirmer l’interdiction de vote des prisonniers, accorder le droit de vote aux personnes condamnées à des peines de détention de six mois et moins, ou, le donner aux détenus condamnés à des peines de quatre ans et moins.
Cameron : "Ça me rend malade"
Tout en faisant mine d’ouvrir une porte à la décision de la CEDH, le gouvernement ne laisse en réalité que peu de chance au droit de vote des détenus. Le Parlement britannique, majoritairement conservateur, devrait sans surprise voter contre. D’autant que si la CEDH se contentait d’un droit de vote aux prisonniers condamnés à des peines de prison de moins de quatre ans, elle n’accepterait certainement pas qu’il soit circonscrit aux personnes condamnées à moins de six mois de prison. Les arrêts de la CEDH sont clairs : les justices nationales des membres du Conseil de l’Europe édictent les conditions sous lesquelles les détenus peuvent participer aux élections. Ce qui est contraire aux droits de l’Homme, c’est l’interdiction "générale, automatique et indifférenciée" de ce droit aux personnes emprisonnées.
Pour Londres, cette remise en cause d’une loi appliquée depuis des lustres est inacceptable. "Ça me rend physiquement malade de simplement envisager de donner le droit de vote à quiconque est en prison", avait ainsi pesté le Premier ministre, David Cameron, en février 2011, après une seconde décision de la CEDH contre le Royaume-Uni. En octobre 2012, le chef du gouvernement persiste et signe : "Cela devrait être clair pour tout le monde, les prisonniers n’obtiendront pas le droit de vote sous ce gouvernement".
Souveraineté du Parlement
Devant les deux chambres, jeudi 22 novembre, le ministre britannique de la Justice, Chris Grayling, "personnellement opposé au vote des détenus", a réaffirmé la souveraineté du Parlement. "Je prends très au sérieux l’obligation de faire respecter l’état de droit, a-t-il déclaré. Il n’en demeure pas moins que le Parlement reste souverain, le 'Human Rights Act' [décret du Parlement britannique intégrant dans la loi les dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme, ndlr] reconnaît ce fait", a-t-il déclaré avant d’ajouter qu’un refus d’appliquer une décision de la CEDH "ne serait pas sans conséquence politique".
"À mon sens, le Royaume-Uni viole les droits de l’Homme, a déclaré sur la BBC Nils Muiznieks, le commissaire aux droits de l’Homme au Conseil de l’Europe. Au cours de sa présidence du Conseil de l’Europe [début 2012], le Royaume-Uni s’est positionné de façon très ferme contre les recours à répétition [concernant des questions sur lesquelles la CEDH a déjà statué] devant la cour. Il y a, à présent, 2 500 cas de prisonniers britanniques qui attendent un jugement de la CEDH concernant leur droit de vote. J’espère que le Royaume-Uni va désormais appliquer les conseils qu’il a dispensé aux autres membres du Conseil."