Ahmed Khaskhoussi est l’un des trois députés tunisiens à avoir arrêté de s’alimenter le 1er octobre pour dénoncer la répression musclée des autorités contre les manifestations de Sidi Bouzid. Une grève de la faim nécessaire, selon lui. Entretien.
Un an après le début du soulèvement en Tunisie, la colère de Sidi Bouzid, berceau de la révolution de 2011, s’est-elle vraiment éteinte ? À en croire les événements en ce début de mois d'octobre, elle n’était qu’en sommeil. Depuis le 27 septembre, en effet, plusieurs centaines d'habitants des villes de la région - dont El Omrane, Menzel Bouzaïane, et Sidi Bouzid -, battent le pavé, de manière presque ininterrompue. À l’origine de cette nouvelle contestation populaire : l’immuabilité politico-sociale. Il faut dire que depuis la chute de Ben Ali, en janvier 2011, rien n’a changé dans cette région gangrénée par le chômage, la précarité et la pauvreté.
Pour seule réponse à ces doléances, le gouvernement tunisien du Premier ministre Hamadi Jebali a envoyé les forces de l’ordre qui n’ont pas hésité, selon nos observateurs de FRANCE 24, à faire usage de balles réelles pour disperser la foule et mater la révolte. Plusieurs dizaines de personnes ont également été arrêtées. Une extrême violence que trois députés dénoncent aujourd’hui à travers une grève de la faim, entamée le 1er octobre. France 24 a pu joindre l’un d’entre eux, Ahmed Khaskhoussi, membre du Mouvement des démocrates socialistes (MDS) et représentant de la circonscription de Sidi Bouzid. Entretien.
FRANCE 24 : La grève de la faim est une solution extrême, pourquoi utiliser ce procédé ?
Ahmed Khaskhoussi : C’était la seule solution. Depuis plusieurs mois, nous essayions d’attirer l’attention des autorités sur les inégalités sociales persistantes et le chômage qui sévit dans le pays.
Mais personne ne nous écoutait. Ni le président de l’Assemblée [Ben Jafaar, du parti de gauche Ettakatol, ndlr], qui a toujours refusé de nous recevoir alors qu’il se trouve chaque jour à quelques mètres de nous ! Ni les membres du gouvernement qui nous ignorent royalement. Nous avions demandé le mois dernier un rendez-vous avec le ministre de l’Intérieur [Ali Larayedh], mais à l’heure actuelle, nous n’avons toujours pas de réponse. Nous avions épuisé tous nos recours. Arrêter de s’alimenter était donc le dernier moyen de pression que nous possédions pour faire valoir nos revendications.
FR24 : Et que revendiquez-vous exactement à travers cette grève ?
A.K. : Dans le contexte des manifestations de Sidi Bouzid, nous demandons la libération de tous les protestataires arrêtés et l’abandon des poursuites judiciaires engagées à leur encontre. Toutes ces personnes manifestaient pacifiquement quand les forces de l’ordre les ont arrêtées et malmenées. Est-ce vraiment cela la réponse des autorités face à un peuple en colère ? Le tout sécuritaire, la répression systématique ! C’est inacceptable.
De manière plus générale, nos revendications sont légitimes, nous réclamons l’instauration d’un dialogue durable entre le pouvoir et la société civile. Pour le moment, rien n’a changé depuis l’arrivée d’Ennadha [le parti islamiste est majoritaire à l’Assemblée, ndlr].
FR24 : Combien de temps comptez-vous tenir ?
A.K. : Personnellement, j’ai dû mettre un terme hier [mardi 2 octobre] à cette grève de la faim suite à un grave malaise. J’ai plus de 65 ans… Mon état de santé ne me permettait pas de continuer. Une ambulance est venue me chercher hier à l’Assemblée. Les médecins m’ont dit que je devais impérativement me réalimenter, que mon corps ne supporterait pas plus longtemps ce jeûne. Mais mes confrères [les députés Mohamed Ibrahmi et Taher El-Ileh] comptent bien la continuer, et ce tant que nos doléances n’auront pas été entendues. Et ils m’ont affirmé qu’ils sont prêts à aller loin.