Le message qu’apporte Benoit XVI au Liban du 14 au 16 septembre ne contiendra pas un soutien spécifique à la communauté chrétienne. Une prudence du Vatican en décalage avec les attentes de nombreux chrétiens d’Orient, dont ceux de Syrie.
Le texte que remettra le Pape "ne peut revêtir l'aspect d'un soutien à un 'camp chrétien' face à un 'camp musulman'. Cette caricature ne serait que la projection de fantasmes occidentaux", affirme Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Oeuvre d‘Orient. Les fidèles chrétiens qui attendent du Pape un soutien clair contre le régime syrien et face à la montée d’un islamisme radical risquent d’être déçus.
Le pape vient remettre à tous les évêques de la région les consignes du Synode préparé par les évêques d’Orient qui se sont réunis en octobre 2010 au Vatican. Mais derrière cette signature symbolique, le pape est particulièrement attendu sur le reproche d’ambiguïté du message de l’Église, voire de silence face aux atrocités syriennes.
Le message est ambigu car l’Église est elle-même divisée sur la question. Il y a, en Syrie, les représentants des Églises maronite, grecque-catholique, arménienne et syriaque, chaldéenne et latine notamment. Ceux-ci ont opté au début du conflit pour une attitude de prudent silence, voyant dans le régime d’Assad un rempart contre la montée d’un islam radical, et invoquant la relative protection dont bénéficient les chrétiens. "Le clergé s'est montré dans l'ensemble loyaliste", confirmait à son tour Frédéric Pichon, historien et spécialiste des chrétiens de Syrie, interviewé par le "Figaro" la semaine dernière. "Certains responsables sont franchement pro-régime (…). Pour autant, tous, y compris la hiérarchie, vous avouent que des réformes étaient nécessaires, que la corruption régnait, mais refusent la violence."
Une attitude qui a pu évoluer avec l'accentuation du conflit. Des lettres dénonçant l’insécurité dans leur diocèse, affichant leur sentiment d’abandon, leurs inquiétudes, ont commencé à circuler. On pouvait notamment y lire : "À Damas, c’est à notre tour de souffrir et de mourir. Nous avons aménagé un coin sous l'escalier pour s’abriter des obus avec les voisins. En dehors des divisions politiques, le chômage prolongé et l’insécurité ont favorisé une terrible vague d’enlèvements, d’un fils, un frère ou un père. Il faut voir l’angoisse des familles devant l'indifférence ou l'impuissance de la société internationale. La fermeture des ambassades à Damas rend l'obtention de visa impossible. Les jeunes victimes (...) de licenciement massif regardent assez mal cet embargo diplomatique qui augmente leur désarroi : le monde ne veut plus de nous et ferme ses portes. Cette inquiétude gagne aussi les prêtres qui cherchent discrètement des cieux plus cléments. Que deviendrait l'Église de Syrie sans eux ?"
Une manière de s’opposer, même discrètement au régime, et de réclamer une position plus ferme, une condamnation par le Pape. Des évêques syriens écrivaient ainsi, en janvier 2012 : "La crise est arrivée à un stade où il n'est plus permis de rester neutre. Des deux côtés, nous sommes sollicités." Un sentiment d’abandon qui rejoint celui de devenir, pour certains, une cible menacée. Cette minorité chrétienne représente en Syrie 9% de la population. Un rapport d’évêques syriens serait parvenu au Vatican, faisant état de lieux de culte détruits, poussant les chrétiens à l’exode, et de graffitis antichrétiens sur les murs de Damas.
Pourtant, Mgr Pascal Gollnisch affirme au contraire que "Les violences ne sont pas antichrétiennes, mais internes à la société syrienne. Pour qu’il y ait persécution, il faudrait qu’elle soit systématique, elle ne l’est pas."
La crainte de l’islam radical
Car c’est bien là toute l’ambiguïté du positionnement de l’Église. Soutenir le camp de la rébellion, alimenté, d’après les experts, par les pays du Golfe, pour mener, à la chute du régime, à l’islam radical, est-ce rendre service aux chrétiens ? La situation n’est pas assez claire, d’après Mgr Gollnisch, qui argumente : "Parmi ces rebelles, nous voudrions savoir qui prendrait le pouvoir s’il y avait une chute du régime. Tant qu’on ne nous donne pas de réponse à cette question, on ne peut pas soutenir un camp contre l’autre."
Il est probable que le Pape ne prenne pas ce risque, donc, de reconnaître les chrétiens comme une cible : "Cela les mettrait dans une situation d’extrême vulnérabilité", croit Mgr Pascal Gollnisch : "Le Pape ne vient pas soutenir les chrétiens dans une lutte supposée contre les musulmans, mais il vient les conforter dans leur mission pour construire une société juste."
itFace au reproche d’un manque de condamnation globale par le Pape contre le régime syrien, il estime que "la hiérarchie catholique n’a pas à prendre position sur le plan politique. Elle a réclamé l’arrêt des violences, la protection des populations civiles et la liberté d’action humanitaire. C’est une demande ferme, précise." Il n’est pas le seul à le dire.
Interrogé sur la prudence critiquée du Saint-Siège dans la crise syrienne, le père jésuite Paolo Dall'Oglio, expulsé au printemps de Syrie, a estimé que le Pape a dit ce qu'il fallait dire, "sans jouer avec le feu", et que le nonce à Damas, Mgr Mario Zenari, a su "reconnaître que les chrétiens syriens n'étaient pas persécutés en tant que tels".
Il est probable que Benoit XVI au Liban maintienne cette ligne de prudence, se contentant d’appeler au respect du pluralisme religieux. Une position qui risque de paraître difficilement soutenable aux yeux de ceux qui avaient rédigé l’exhortation synodale avant l’avènement d’un printemps arabe douloureux.