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Une éventuelle fusion entre le géant de l’aéronautique européen EADS et le numéro 3 mondial de la défense BEA créerait un mastodonte européen capable d’aller à la conquête des États-Unis. Mais encore faut-il régler le problème de gouvernance.

Il y a des turbulences dans l’air... L’annonce faite par le géant européen de l'aéronautique EADS et le spécialiste britannique de la défense BEA, mercredi soir, d’une éventuelle fusion entre les deux groupes a soulevé un tonnerre de réactions. Il y a de quoi y perdre son latin... ou plus précisément son allemand. L'Allemagne étant, en effet, l’un des principaux actionnaires d’EADS.

À Berlin, le gouvernement indiquait jeudi, en milieu de journée, émettre “de forte réserves sur la faisabilité de ce projet”. Un peu plus tôt, des sources proches du gouvernement avaient simplement évoquer des “discussions constructives” avec EADS, alors que mercredi matin le quotidien économique allemand "Handelsblatt" assurait que Berlin “avait donné son aval à une telle fusion”.

La France, l’autre grand actionnaire publique d’EADS, ne voulait de son côté “faire aucun commentaire” sur un tel rapprochement. À Londres, le ministère britannique du Commerce s'est contenté d'indiquer, jeudi, "vouloir s'assurer que les intérêts britanniques étaient bien protégés".

Bergerie américaine de la défense

Ces réticences peuvent surprendre. Le nouvel ensemble - dont EADS détiendrait 60 % et BEA 40 % - serait en effet le leader incontesté du secteur de l’aéronautique en Europe. Un nouveau mastodonte de l'aéronautique et aussi de l'équipement militaire. Il serait, ainsi, mieux armé pour chatouiller Boeing, le rival historique américain du constructeur de l’Airbus.

Car EADS entend bien venir chasser sur les terres américaines de Boeing. “Les rapports historiques entre le gouvernement britannique, actionnaire de BEA, et le gouvernement américain peuvent faciliter la tâche du nouvel ensemble et donc d’EADS pour décrocher des contrats auprès du Pentagone”, précise à FRANCE 24 Marc Ivaldi, spécialiste en économie industrielle à l’École d’économie de Toulouse.

BEA a déjà un pied dans la bergerie américaine puisqu’il est un partenaire commercial privilégié du Pentagone (programme de chasseurs F-35). Washington dépense environ 550 milliards de dollars par an pour assurer sa défense, “ce qui équivaut à deux fois la totalité des budgets européens de défense”, rappelle, jeudi, le quotidien économique L’"Usine nouvelle".

Cet accent mis sur le secteur aéronautique de la défense est l’un des objectifs du plan de route d’EADS “Vision 2020” qui avait été établi en 2008 par Louis Gallois, le prédécesseur de Tom Anders, l’actuel PDG du géant de l’aéronautique. Le Français estimait alors que le groupe franco-allemand souffrait d’une trop forte dépendance à l’aviation civile, qui était davantage soumise aux aléas économiques. “Il est vrai que les dépenses militaires, notamment pour des grands pays comme les États-Unis, sont plus stables puisqu’ils sont décidés par les États eux-mêmes”, confirme Marc Ivaldi.

L’autre avantage, juge ce spécialiste, est de mettre en place un “ensemble européen plus efficace face à la concurrence”. “Il y a clairement des complémentarités de métiers entre les deux groupes. Ce qui leur permettrait de proposer des armes et des systèmes de défense moins coûteux”, explique Marc Ivaldi.

Mic-mac de la gouvernance

Mais au-dessus de cet ensemble, d’apparence plus fort et plus beau, plane l’ombre du mic-mac de la gouvernance de l’éventuel nouveau groupe. C’est à cet aune qu’il faut comprendre les déclarations et non-dits des différents gouvernements impliqués. “Il y a probablement actuellement d’intenses négociations et chacun pousse ses pions. Il ne faut donc pas prendre les déclarations des uns et des autres au pied de la lettre”, estime Marc Ivaldi.

Pour lui, par exemple, la France pourrait très bien jouer la carte britannique pour essayer de faire baisser l’influence allemande dans EADS. En outre, “ce n’est pas facile de dépasser l’organisation symétrique franco-allemande (un même nombre de postes pour allemands et français) et de créer une vraie entreprise européenne. L’une des manières peut être de taper dans la fourmillière et de faire entrer le loup britannique dans cet ensemble”, analyse ce spécialiste de l’économie industrielle.

Les investisseurs aussi reconnaissaient, jeudi, qu’en raison des activités sensibles des deux groupes, la fusion ne serait probablement pas pour demain. “Des longues négociations vont avoir lieu pour savoir qui fera quoi dans l’éventuel nouvel ensemble”, a, ainsi estimé la banque Citigroup. Conséquence : le cours de l’action du titre EADS était en baisse de 10 % sur les marchés financiers européens.