Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a durement critiqué la décision d'Air France de dérouter un avion à destination de Beyrouth vers Damas. La compagnie aérienne affirme qu'elle n'avait pas d'autre choix.
Une "énorme bêtise". C’est en ces termes que Laurent Fabius a critiqué samedi 18 août la décision prise par Air France de dérouter vers Damas un vol à destination de Beyrouth, en raison d’une situation jugée préoccupante dans la capitale libanaise. Le chef de la diplomatie française ne décolère pas et a réitéré ses critiques sur les ondes de RTL ce lundi. "C'était extrêmement dangereux [...]. Les décisions dans ces circonstances sont compliquées à prendre mais en plein conflit, se poser à Damas, vous conviendrez avec moi que ce n'était pas la décision la plus pertinente, et je suis diplomate", s’est ainsi indigné le ministre.
Mercredi 15 août, Air France a décidé de ne pas faire atterrir son vol à destination de Beyrouth pour des raisons de sécurité. Ce jour-là, en effet, le clan des Mokdad revendiquait l’enlèvement au Liban d’une quarantaine de Syriens en représailles au rapt de l’un des leurs en Syrie par les rebelles syriens. Les routes d’accès à l’aéroport de Beyrouth étaient coupées dans la soirée en raison de manifestation de membres de cette famille chiite. Une route réputée dangereuse lorsque des tensions agitent le pays, des milliers d'enlèvements y ont notamment eu lieu pendant la guerre civile (1975-1990).
Damas plus sûre que Beyrouth ?
La situation à Beyrouth est alors jugée trop dangereuse par Air France qui, après une heure environ à tourner au-dessus de la capitale libanaise et quelques tergiversations, fera atterrir l’avion à Damas. Mais l’itinéraire bis a de quoi surprendre. L’aéroport de Damas qui n’accueille plus de vol Air France depuis de longs mois est jugé plus sûr pour atterrir, malgré la situation de quasi guerre civile que connaît la Syrie.
De quoi s’étonner pour Laurent Fabius qui a exigé de la compagnie, dont l’Etat français est le principal actionnaire, des "compléments d’informations" sur ce vol.
Joint par FRANCE 24, Cédric Leurquin, l’un des porte-parole d’Air France, explique en premier lieu que la décision du déroutage de l’avion n’a pas été prise du seul fait du commandant de bord. "C’est une décision grave, rare et que l’on ne prend qu’en cas de force majeure. Le commandant de bord et la direction d’Air France ont décidé de dérouter le vol notamment sur les indications de la Direction de la sûreté d’Air France et également des équipes d’Air France présentes au Liban", justifie-t-il.
Le Quai d’Orsay en contact avec Air France tout au long du déroutement
Aucune autre compagnie aérienne n’a eu les mêmes inquiétudes et n’a choisit d’agir de la sorte. Cédric Leurquin reconnaît que le choix d’Air France, isolé, "peut paraître surprenant". Mais "le Liban est un pays où la situation peut changer très rapidement. En l’espace de deux ou trois minutes, un aéroport qui était sécurisant pour atterrir peut devenir dangereux", avance-t-il.
Le porte-parole d’Air France insiste surtout sur le fait que Damas n’était pas la première destination du vol dérouté. Il a demandé à se poser d’urgence à Amman en Jordanie, mais la route aérienne lui a été refusée. "La route vers Amman étant indisponible et compte tenu du peu de carburant qu’il lui restait, Damas était la seule solution qui restait au commandait de bord", affirme Cédric Leurquin.
Face aux critiques de la diplomatie française, il tient à rappeler que "la cellule de crise du Quai d’Orsay était en contact avec Air France tout au long du déroutement, et que l’ambassadeur de France au Liban était fortuitement présent dans l’appareil et a pu s’entretenir avec le commandant de bord". Joint par FRANCE 24, le porte-parole du Quai d’Orsay n’a pas souhaité donner plus d’informations que les déclarations faites par Laurent Fabius.
Périple de 20 heures
Laurent Fabius reproche par ailleurs à Air France d’avoir mis en danger les passagers du vol, au nombre desquels figuraient des personnalités libanaises hostiles au régime de Bachar al-Assad. "Imaginez un instant que les autorités syriennes aient fouillé l'avion et vérifié les identités", s’est ainsi indigné le ministre. La liste de ces personnes n’a pas été rendue publique.
L’avion restera 2h20 sur le tarmac de l’aéroport de Damas, temps nécessaire au ravitaillement en kérosène de l’appareil. Selon les témoignages de passagers rapportés dans la presse et notamment par le quotidien libanais "L’Orient-le-jour", l’équipage a demandé aux voyageurs de ne pas prendre de photos, d’éteindre les lumières et de bien maintenir les cache-hublots fermés.
Après, l’escale damascène, la situation à Beyrouth "ne permettait toujours pas de s’y diriger", selon le porte-parole d’Air France. C’est donc à l’aéroport chypriote de Larnaca que l’avion a fini par atterir. Les 174 passagers rejoindront finalement la capitale libanaise le lendemain, après un périple de plus de 20 heures.