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Après les combats, les habitants de certaines villes syriennes ont élu des conseils locaux pour assurer à la fois leur sécurité et l'administration de leur ville. Ailleurs, la solidarité s’organise sous formes d’associations citoyennes.

Alors que la bataille pour le contrôle d’Alep fait rage et que certains quartiers de Homs sont à nouveau pilonnés, d’autres régions de Syrie vivent aujourd’hui un quotidien plus apaisé. La vie reprend peu à peu son cours dans les villes et villages "libérés", selon les opposants.

Reste que les combattants ont laissé derrière eux des localités certes "libérées", mais en proie à un profond chaos. Après 16 mois de répression sanglante, le pays est dévasté et l’économie à genoux.

Des conseils locaux élus mais exclusivement masculins

Face au désordre et à la nécessité d’agir, les habitants ont donc pris les choses en main pour assurer, en premier lieu, leur sécurité, mais aussi la gestion des affaires courantes, le fonctionnement des hôpitaux et pour faire face aux pénuries de nourriture et de médicaments. Les structures qu'ils ont créées, le plus souvent sous forme associative, prennent aussi, parfois, la forme de conseils locaux élus.

Des élections libres se tiennent dans un village de Jabal al-Zawiya

Un fait pour le moins inhabituel dans un pays qui, depuis plus de 40 ans, vit sous le joug du clan Assad et n’a connu que des plébiscites en faveur du parti unique, le Baas, en guise d’élections. Une équipe de l’AFP a ainsi pu assister à un scrutin qui s’est déroulé à Maarzeita, petit village des hauteurs de Jabal al-Zawiya, dans le nord-ouest du pays. "Aujourd'hui, j'ai expérimenté la démocratie et la liberté", a confié aux journalistes français un habitant ému. À l’issue du vote - une première en Syrie -, un "Conseil local révolutionnaire" de neuf membres a été élu.

À travers le pays, plusieurs villes moyennes se sont dotées de structures similaires, selon l’équipe de l'AFP qui s'est rendue durant une semaine dans les provinces d'Alep, dans le nord, d'Idleb, dans le nord-ouest, et de Hama, dans le centre.

Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), confirme ces observations. "Mes contacts en Syrie m’ont rapporté la tenue d’élections de conseils locaux dans plusieurs zones contrôlées par l’Armée syrienne libre (ASL), notamment autour de Hama et d'Idleb, mais aussi dans la région de Soueida, le fief des druzes, dans le sud du pays."

"Les habitants ont dû palier le vide laissé par la disparition des institutions étatiques", analyse-t-il, soulignant que ces conseils ont souvent une double direction, militaire et civile. Le chef militaire vient généralement de l’ASL et coordonne la défense de la ville, tandis qu'un notable élu dirige la gestion des affaires courantes, assisté d’un conseil d’une dizaine de personnes.

L’issue de ces votes témoigne, selon le chercheur, de leur caractère "très local" et ne peut, pour l’heure, servir d’indicateur politique. "Ce sont surtout des notables sunnites qui ont été élus, ou des chefs tribaux selon la région", explique-t-il. Et de rappeler : "Il n’y a pas de partis politiques d’opposition organisés en Syrie. Le seul véritable parti, c’est celui des Frères musulmans, mais ils sont encore à l’extérieur".

Ombre, de taille, à ce tableau, ajoute encore Fabrice Balanche : aucune femme n'a été candidate et on lui a rapporté une présence exclusivement masculine parmi les électeurs.

Face à l’affaiblissement des institutions du Baas, une nouvelle forme de citoyenneté voit le jour

Pour lui, l'émergence de ces villes autogérées sur le plan administratif s’inscrit dans la droite ligne des initiatives citoyennes qui se multiplient en Syrie. Car outre les conseils municipaux élus, nombre d’activités associatives ont vu le jour à travers tout le pays à la faveur du relâchement des autorités, trop occupées par l’offensive militaire. "Auparavant, les autorités auraient interdit des associations qui sortiraient du cadre du parti Baas", explique Fabrice Balanche. On lui rapporte une multitude d’initiatives locales, plus ou moins organisées.

Il raconte ainsi qu’un groupe de jeunes de la ville de Soueida a décidé de se charger du ramassage des ordures que les éboueurs n’assurent plus, par peur des bombes qu’ils pourraient trouver dans les bennes. Dans des quartiers de Damas, les hommes s’organisent en milice de quartier pour se défendre.

Sur les réseaux sociaux, les associations d’entraide à peine formées se font connaître, comme "kilo de riz", qui se charge de rassembler des vivres et de les redistribuer dans les quartiers de Damas qui ont été touchés par des bombardements, la semaine dernière. À Alep encore, des scouts chrétiens déblaient les gravas dans les rues et ramassent les ordures.

La Syrie post-Assad en gestation ?

Autant de signes positifs qui tranchent avec la violence que subissent certains quartiers, où nul n’ose encore mettre un pied dehors. Mais, pour Fabrice Balanche, ces élans d’organisation démocratique, de solidarité n’augurent pas nécessairement de ce que sera l’après-Assad.

Il prend d’abord l’exemple de la guerre civile au Liban où les habitants avaient également pris des initiatives d’entraide, qui n'avaient toutefois pas "empêché les violences de se poursuivre entre communautés".

Il craint par ailleurs que l’organisation qui semble se mettre en place actuellement soit le signe d’un repli clanique, voire communautaire. "Les villages libérés sont sunnites, les personnes élues sont des notables locaux, la solidarité s’organise autour de quartiers, ou encore de mosquées et d’églises", énumère-t-il. Autant de signes de "fragmentations de la société" pour le chercheur, qui évoque "un repli de chacun vers sa communauté, ce qui peut préfigurer des violences, des rancœurs ancestrales susceptibles d'éclater dans la période à venir".