
Un rapport chiffre pour la première fois l'ampleur de l’évasion fiscale dans le monde. En tout, ce sont plus de 21 000 milliards de dollars qui échapperaient à toute taxation, selon l’ONG britannique Tax Justice Network.
Les 22 000 milliards de dollars des PIB cumulés des deux pays les plus riches du monde, les États-Unis et la Chine, dépassent à peine la masse d’argent que les plus grandes fortunes du monde ont réussi à soustraire au fisc dans leur pays d’origine, estimée à au moins 21 000 milliards de dollars.
- Chine : 1 189 milliards de dollars
- Russie : 798 milliards de dollars
- Corée du Sud : 779 milliards de dollars
- Brésil : 520 milliards de dollars
- Koweït : 496 milliards de dollars
- Mexique : 417 milliards de dollars
- Venezuela : 406 milliards de dollars
- Argentine : 399 milliards de dollars
- Indonésie : 331 milliards de dollars
- Arabie saoudite : 308 milliards de dollars
C’est la principale conclusion d’un rapport rédigé par James S. Henry, ancien économiste en chef du cabinet américain de conseil en management McKinsey, et publié le 22 juillet par le Tax Justice Network (Réseau pour une justice fiscale). “C’est une estimation conservatrice et ce montant pourrait atteindre 32 000 millards de dollars”, prévient cette ONG britannique de lutte contre l’évasion fiscale.
L'évasion fiscale se porte donc mieux que jamais, selon cette première étude du genre. En effet, selon James S. Henry, les dix principales banques impliquées dans l'optimisation fiscale ont géré, en 2011, 5 000 milliards de dollars placés dans des paradis fiscaux contre seulement 2 000 milliards de dollars cinq ans plus tôt.
Avec cette enquête, Tax Justice Network entend démontrer que, dans le contexte de la crise économique, “les disparités de richesses sont bien plus graves que ce qu’on pensait jusqu’à présent”. Certains riches sont ainsi encore bien plus riches que sur leur déclaration de revenus.
8 % de la richesse mondiale
Jusqu’à ce jour, il n’existait aucune données de référence sur le montant des sommes qui échappent à toute taxation. “L’OCDE a évoqué une estimation de 11 000 milliards de dollars en 2009 lorsque les paradis fiscaux étaient dans la ligne de mire du G20”, note l’ONG britannique qui déplore que, depuis lors, l’organisation n’a plus jamais évoqué cette estimation et reste dorénavant très floue sur la question. L’économiste Gabriel Zucman, spécialiste français des questions relatives à l'évasion fiscale, estime que “l’argent placé dans les paradis fiscaux représentait, en 2008, 8 % de la richesse mondiale” dans un ouvrage publié en mars 2012 et intitulé “La richesse manquante des nations”.
Pour combler ce vide statistique avec son chiffre choc, James S. Henry a travaillé à partir des données publiques d’institutions comme la Banque des arbitrages internationaux ou encore le Fonds monétaire international.
Ces données ne concernent que les produits financiers et le total ne tient pas compte de la valeur de biens immobiliers et mobiliers tels que les maisons, les yachts ou encore les œuvres d'art. “Certaines personnes plaçent même leur collection de montres à gousset dans des paradis fiscaux”, note James S. Henry. En outre, il reconnaît que les efforts pour cacher ces sommes ne permettent pas de donner d’estimations définitives et en appelle à d’autres études pour corroborer ses conclusions.
"Vivons cachés, vivons fortunés"
L’incroyable richesse recensée par les recherches de James S. Henry appartient à une infime minorité de super-riches. Les 21 000 milliards de dollars qui, selon le rapport, échappent aux fiscs du monde entier, sont entre les mains de seulement 10 millions de personnes. Cette population adepte du “vivons cachés, vivons fortunés” compte en son sein aussi bien des “artistes que des spéculateurs immobiliers trentenaires chinois ou encore des oligarques russes vieillissants et des barons de la drogue d’Amérique latine”, souligne le rapport.
L'optimisation fiscale est un sport pratiqué particulièrement dans les pays producteurs et exportateurs de pétrole, remarque le rapport. Ce sont ainsi 500 milliards de dollars qui ont échappé à l’impôt en Russie dans les années 1990, tandis qu’au Nigéria 300 milliards de dollars se sont envolés vers des paradis fiscaux depuis les années 1970. “Cet argent ne bénéficie qu’à une poignée de personnes alors qu’il pourrait permettre d’éponger une partie ou l’intégralité de la dette nationale qui, elle, est supportée par toute la population de ces pays souvent pauvres”, souligne James S. Henry.
Le développement de cette évasion fiscale et les inégalités qui en résultent, que James S. Henry nomme la “face sombre de la mondialisation”, seraient aussi une plaie sociale car l’espérance de vie serait plus élevée dans les pays plus égalitaires, selon les deux épidémiologistes britanniques Richard G. Wilkinson et Kate Pickett, auteurs de “L’égalité, c’est la santé”.