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Loïc Corbery, le play-boy de la Comédie Française

Rencontre avec la nouvelle étoile montante de la Comédie-Française, Loïc Corbery, comédien espiègle et talentueux actuellement à l'affiche de la pièce "On ne Badine pas avec l'amour", le chef d'œuvre d'Alfred de Musset.

"Vous m’accordez deux secondes ?" En plein milieu de la conversation dans la cafétéria de la Comédie-Française, Loïc Corbery bondit de sa chaise et disparaît. Quelques minutes plus tard, il revient, en riant. "J’avais une connerie à faire à des potes qui répètent en bas", explique-t-il, grisé par le succès mystérieux de sa plaisanterie. Puis se rassoit, satisfait.

Difficile au premier coup d’œil de reconnaître ce comédien rompu au répertoire classique, dernièrement gratifié par la presse du titre de "nouvelle étoile montante du Français [la Comédie-Française, ndlr]". Loïc Corbery, jeune sociétaire de la Comédie-Française – capable de résister à son monstrueux aîné Roland Bertin dans "On ne badine pas avec l’amour" – n’a pas laissé sa notoriété grandissante gâter sa désinvolture. Davantage concentré sur la recherche de sa prochaine boutade que sur la perspective de longues heures de répétitions, le comédien est un vrai gosse de trente-cinq ans abonné aux pochades et au syndrome de Peter Pan.

Difficile aussi de casser son image d’éphèbe talentueux – idolâtré par une armée de nymphettes qui, depuis une petite année, multiplie les pages facebook en l’honneur de celui qu’elles jugent aussi parfaitement beau que puissant dans ses interprétations. Regard lumineux, sourire radieux, le tout servi par une gentillesse constante, il n’en fallait pas beaucoup plus pour séduire, en deux minutes chrono, la midinette que j’avais dissimulée – tant bien que mal – derrière un sang-froid de reporter de guerre.

Surtout, l’homme est doué. Bien avant de briller avec son Perdican façon James Dean dans "Badine", Loïc avait compris que la recette de son succès résiderait aussi bien dans la justesse du mot que dans le tomber de la chemise. Si son Christian dans "Cyrano" dévoilait un téton, l’apollonien Clindor de "L’Illusion comique" finissait en caleçon. Nombre de ses interprétations ont ainsi fait passer sur la maison de Molière un air de cabaret. Avec Petruccio, ce fut l’apothéose. En léchant un miroir et en offrant aux regards la plastique sculpturale de son torse nu dans "La Mégère apprivoisée", le comédien peut se targuer de détenir le record de soupirs lascifs poussés en une soirée dans la salle Richelieu… Loïc plaît. Le sait. Mais ne s’attarde pas sur le sujet. "Tout ça – comprendre : toutes ces fans qui auraient préféré être à la place du miroir, ndlr – me gêne un peu. Je joue, c’est tout, et j’aime ça", confie-t-il nonchalamment entre deux gorgées de café.

À l’origine de cet amour, Agnès Varda, qui le fit tourner à six ans dans son court métrage Ulysse (1982), qu’il n’a pas vu. Depuis, les planches font partie intégrante de son ADN. "Je ne pourrai jamais me passer de la scène, affirme-t-il, à chaque représentation, je joue ma peau". Bon élève jusque dans ses réponses, le comédien lâche l’habituel chapelet de poncifs romantiques. Soit. Comme mille avant lui, Loïc déclare aimer la scène comme le croyant aime sa croix : animé par un feu sacré. Pas très original. Pourtant une faille est là, repérée au détour d’une confession.

Bluffeur cornélien

"Certains rôles sont vertigineux comme celui de Dorante [le menteur impénitent de Corneille]. En le jouant, j’avais l’impression de me raconter moi-même. C’était même effrayant tant il me ressemblait". Étrange révélation que celle d’un comédien qui avoue son imposture plutôt que de la feindre. Théâtre, quand tu nous tiens : de Dorante ou Corbery, qui ressemble à l’autre ? Le jeune Avignonnais, né sur et pour la scène, ou le bluffeur cornélien, dont la vérité se perd dans la coulisse ? La mise en abyme est dangereuse. Loïc le sait. Si "chaque jour il faut réinventer son rôle, chaque soir, il faut chercher à s’en défaire". Et pour laisser ses chimères au placard, passer la porte de la prestigieuse maison. Mais le Français est une maîtresse exigeante qui ne tolère pas l’infidélité. "Toute ma vie tourne autour de cette baraque". Raté, au passage, pour la vie de garçon. "Je sors vers 23 heures. Alors parfois oui, c’est un peu compliqué et on se demande si on ne passe pas à côté certaines choses..."

Petruccio aurait été plus bavard, Perdican plus éloquent, Loïc, lui, fait l’impasse sur sa vie amoureuse. Lot de consolation, il s’attarde sur la tendresse qu’il porte à son grand frère, son "héros dans la vie réelle", à qui il a confié la gestion de son compte twitter et de son blog car, avoue-t-il, "je suis à des kilomètres d’internet. Je n’ai ni connexion, ni compte Facebook."

Les questions s’enchaînent ; les réponses arrivent façon jeu "corberien". Si Loïc/Corbery adule le théâtre shakespearien, loue l'écriture mussetienne, Loïc/Peter Pan, lui, adorerait jouer Albator sur grand écran – "Un rêve de gosse". Quand Loïc/Corbery soutient qu’il aurait bien voté Strauss-Kahn à la présidentielle de 2012, Loïc/Christian s’exalte, de son côté, d’avoir été adoubé chevalier des Arts et des Lettres l'année dernière. Un titre "dément" pour celui qui rêve "de capes, d’épées et de princesses." Loïc/Dorante, jamais loin, confesse avoir pleuré "un peu pour de faux" à la dernière de Badine, à la fin de la saison 2011, avant de laisser Loïc/Corbery s'épancher sur le talent de Tim Burton et Terry Gilliam sous la direction desquels il enfilerait bien de nouveaux costumes. Ses quelques apparitions dans "Commissaire Valence" sur TF1, aux côtés de Bernard Tapie, lui ayant sûrement donné le goût de la démesure baroque de l’ex-Monty Python…

Encore deux questions avant de laisser Loïc retourner se perdre sous le fard. Son film culte ? "Princess Bride". Silence. Loin des clichés à la Welles ou Mankiewicz and Co., il assure avoir vu "au moins dix fois" ce film culte de Rob Reiner. Pas très shakespearo-compatible mais très Loïco-romantico compréhensible… Pris en flagrant délit de spontanéité, il tente de rectifier le tir. "Non… Mauvaise réponse, oubliez… Mettez plutôt Terrence Malick et "Les Moissons du ciel", c’est plus sérieux." Trop tard. L’aveu est sous presse.

"A propos, qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas été comédien ?" Il n’hésite pas une seconde : luthier. Par amour. "Je suis tombé amoureux d’une violoniste à l’âge de 10 ans. Comme elle, je voulais jouer de cet instrument, sauf que j’étais très mauvais. Alors j’ai décidé d’être luthier. Je me disais : soigner son instrument, c’est un peu la toucher, elle." Un brin fleur bleue, la corde sensible – irrésistible.

"On ne badine pas avec l'amour" (Alfred de Musset), du 9 mai au 17 juin 2012 à la Comédie-Française.
 

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