Condamné en 2010 pour avoir fait perdre 4,9 milliards à la Société Générale, Jérôme Kerviel va attaquer en justice son ex-employeur pour "escroquerie au jugement". La banque riposte par une plainte pour "dénonciation calomnieuse".
AFP - Loin de faire profil bas avant son procès en appel, Jérôme Kerviel, symbole des dérives de la finance et de ses "traders fous", a décidé de porter plainte contre la Société Générale, laquelle a rétorqué qu'elle allait en faire autant.
L'avocat de l'ancien trader, David Koubbi, a annoncé vendredi avoir déposé une plainte pour "escroquerie au jugement" contre la banque. Il l'accuse d'avoir caché à la justice le fait d'avoir récupéré grâce à un mécanisme fiscal 1,7 des 4,9 milliards d'euros qu'elle dit avoir perdus par la faute de Jérôme Kerviel.
Riposte quasi immédiate: la Société Générale a fait savoir dans la soirée qu'elle allait porter plainte pour "dénonciation calomnieuse".
Jugé seul responsable d'une perte abyssale subie en janvier 2008 par la Société Générale, Jérôme Kerviel, 35 ans, a été condamné en 2010 à cinq ans de prison dont trois ferme et à des dommages et intérêts à hauteur de la perte, 4,9 milliards.
Pour le tribunal, il a joué sur les marchés financiers comme au casino, prenant des positions astronomiques sur des produits hautement risqués et dissimulant ses opérations avec des fausses écritures.
Affirmant de son côté que la banque fermait les yeux sur ses méthodes, voire les encourageait tant qu'il "gagnait", Jérôme Kerviel n'avait pas convaincu le tribunal correctionnel et son président, Dominique Pauthe, celui-là même qui a condamné Jacques Chirac à deux ans de prison avec sursis en décembre dernier dans l'affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris.
Victime
A son premier procès, Jérôme Kerviel avait pour défenseur le célèbre pénaliste Olivier Metzner, qui avait accueilli le jugement comme une "défaite personnelle".
Alors qu'approchait le procès en appel, prévu du 4 au 28 juin, des désaccords sur la "stratégie" à adopter sont apparus entre l'avocat et son client. Mi-mars, Me Metzner sortait du dossier, comme une bonne demi-douzaine d'autres avocats avant lui.
En première instance, la défense avait tenté de démontrer que la banque "ne pouvait pas ne pas savoir" ce que faisait son jeune trader. En appel, elle voudra prouver "qu'elle savait", affirme aujourd'hui Me Koubbi.
Kerviel, Koubbi, les deux hommes se connaissaient déjà, l'avocat ayant défendu les intérêts du trader ces trois dernières années dans des affaires d'atteinte au droit de la presse.
David Koubbi, 39 ans, a été récemment l'avocat de Tristane Banon, la jeune femme qui attaquait Dominique Strauss-Kahn pour agression sexuelle. La plainte a été classée sans suite car les faits étaient prescrits, mais il considère néanmoins que le combat a été gagné parce que le parquet a reconnu l'agression.
"Il y a eu tellement de dysfonctionnements" dans l'affaire Kerviel "qu'accepter d'assurer la défense (du trader) s'impose", déclarait-il fin mars.
Peu après, l'avocat s'attaquait à la déduction fiscale obtenue par la Société Générale après la "fraude" de son trader, s'employant à démontrer qu'elle n'aurait pas dû être accordée par Bercy. Il a demandé une commission parlementaire, avant de porter plainte pour escroquerie au jugement.
En face, le camp adverse se met lui aussi en ordre de bataille. Pour faire valoir ses droits de "victime", la Société Générale aura les trois mêmes avocats qu'en première instance, François Martineau, Jean Reinhart et, poids-lourd du barreau, Jean Veil.
Les débats s'annoncent encore une fois techniques mais ne devraient pas impressionner outre mesure la présidente de la cour, Mireille Filippini, ancienne juge d'instruction au pôle financier de Paris.