
Au lendemain de la mort de Mohamed Merah, l’auteur des tueries de Toulouse et de Montauban, une Prière de l’absent a été dite dans les mosquées françaises pour rendre hommage aux soldats musulmans tombés sous les balles du tueur. Reportage.
"La communauté musulmane est choquée et ressent le besoin d’exprimer sa douleur", explique Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, installé dans un fauteuil au milieu de son bureau.
Le vendredi est un jour sacré pour les musulmans, mais en ce 23 mars, en France, il revêt un caractère particulier. À la suite de l’assassinat de deux soldats français de confession musulmane à Montauban et à Toulouse, un appel a été lancé à l’ensemble de la communauté pour assister, dans toutes les mosquées de France, à une prière particulière - la Prière de l’absent. La Grande Mosquée, située en plein cœur du Quartier latin, à Paris, se prépare, elle-aussi, à cette cérémonie.
"Nous faisons cette prière en mémoire de toutes les victimes, pas uniquement des deux soldats d’origine musulmane, précise Dalil Boubakeur. C’est au niveau de la nation que nous voulons l'élever."
Éviter tout amalgame
Dalila Lardaoui, une fidèle de 41 ans, profite de ses vacances pour se rendre à la mosquée. "La Prière de l'absent est une occasion de prier pour toutes ces personnes victimes de crimes horribles, injustifiables. Ce n’est pas une question de religion, nous sommes tous touchés en tant qu’être humain", affirme-t-elle en réajustant son voile vert.
Un peu plus loin, Farida est en proie au désarroi. "Un vrai musulman, qui pratique notre islam, ne ferait pas ce genre de choses", lance-t-elle.
Mohamed Merah, l’auteur des meurtres de sept personnes - dont trois enfants - à Toulouse et à Montauban entre le 11 et le 19 mars, a été tué jeudi 22 mars lors d’un assaut du Raid, une unité d'élite de la police nationale, dans l’immeuble où il était retranché depuis plus de 30 heures. L’homme a notamment expliqué son geste par son opposition à la loi française interdisant le port du voile dans les lieux publics.
"Nous ne voulons pas qu’il y ait d’amalgame entre la communauté musulmane et les faits qui viennent de se dérouler qui n’ont rien à voir avec l’Islam. Nous demandons donc à la communauté nationale de se garder de tout mauvais jugement envers notre religion", lance Dalil Boubakeur.
En chemin pour aller prier comme tous les vendredis, Fatiha Messamer évoque un cas isolé. "Il y a des fous partout, certains mettent leurs actes sur le compte de l’islam, mais cela ne veut rien dire", s’indigne-t-elle.
Toutefois, certains fidèles craignent un regain de tensions entre communautés à la suite du drame.
"Le cordon ombilical est déjà coupé entre les Français"
Régulièrement sous le feu des projecteurs, la religion musulmane a été au cœur des débats politiques de ces derniers mois avec, notamment, l’adoption de la loi contre le port du voile intégral, l’interdiction des prières dans les rues et, dernièrement, la polémique sur la viande halal.
À 28 ans, Mohamed Tedjini, qui participe aussi à la prière de la Grande Mosquée, avoue redouter que les musulmans pâtissent de ces évènements. "De toute façon, l’islam a mauvaise réputation en France", résume-t-il.
L’un des fidèles au visage fermé, qui souhaite garder l’anonymat, se dirige vers le bâtiment. La prière débute dans cinq minutes, soit juste le temps pour lui de dénoncer le climat politique actuel qui n’apaise pas les tensions dans le pays. "Le gouvernement français ne fait pas les choses correctement, au lieu d’inciter à l’amour entre les personnes, il fait des différences entres les musulmans et les autres Français", s'énerve-t-il. Un triste constat qui ne se limite pas au simple cas de la communauté musulmane : "Il y a également des discriminations envers les chrétiens, les juifs, les Roms, etc. Dans notre société, le cordon ombilical est coupé entre les Français", ajoute ce dernier.
Osman Ibrahim-Behra, lui, vit à La Réunion depuis 60 ans. En visite dans la capitale où habite sa fille, il constate que, en métropole, les tensions sont plus vives que sur son île : "Que cherche-t-on lorsque l’on parle de la viande halal, sinon à affaiblir la communauté musulmane ? Le fait divers que nous venons de vivre à Toulouse nous oblige à être prudents".
Interrogée sur le risque de stigmatisation de la population musulmane, Fatiha Messamer se veut, elle, plus confiante. "On peut bien essayer de nous pointer du doigt à la suite de cette affaire, mais mes concitoyens - car je suis Française ! - savent faire la part des choses, ils ne se laisseront pas berner."
(Crédits photo : Charlotte Oberti / FRANCE 24)