Le Premier ministre chinois Wen Jiabao a, pour la première fois, lors d'une conférence de presse, évoqué la fin du taux de change administré. Une révolution silencieuse qui pourrait bouleverser le commerce mondial.
Les promesses de réformes de Wen Jiabao font beaucoup de bruit. Lors de sa dernière conférence, mercredi 14 mars, le Premier ministre chinois a évoqué des changements économiques majeurs qui pourraient avoir un impact important sur le commerce mondial. Il s’exprimait à l’issue de la session plénière annuelle du Parlement.
Le chef du gouvernement chinois a ainsi, pour le première fois, laissé entendre que le pays pourrait laisser le yuan flotter librement face aux autres monnaies et notamment face au dollar. La monnaie chinoise “est proche du niveau d’équilibre”, a ainsi commenté lors de la conférence de presse Wen Jiabao. “Il veut dire que le taux de change du yuan n’a plus besoin d’intervention étatique”, explique à FRANCE 24 Mary-Françoise Renard, présidente de l’Institut de recherches sur l'économie de la Chine (Idrec).
“C’est une annonce économique majeure, mais elle n’est pas surprenante”, précise-t-elle. Mary-Françoise Renard rappelle qu’en novembre 2011 le gouverneur de la Banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan, avait également émis le vœu de laisser le yuan flotter davantage sur le marché des changes. En outre, le gouvernement a préparé le terrain depuis longtemps à cette inflexion de sa politique monétaire : il a déjà laissé la valeur du yuan s’apprécier de 4,7% par rapport au dollar en 2011.
Tradition de grand exportateur
Depuis des années, et notamment depuis la dernière crise mondiale, les pays industrialisés - États-Unis en tête - accusent Pékin de concurrence déloyale : en sous-évaluant le yuan, la Chine permet à ses entreprises d’exporter leurs produits à des prix nettement inférieurs à ceux pratiqués par leurs concurrents étrangers.
Si les déclarations d'intention de Wen Jiabao se concrétisent, "les prix des produits chinois à l'exportation vont immédiatement monter”, prévient Mary-Françoise Renard. Une évolution qui cadre mal avec la tradition de grand exportateur qui fait depuis longtemps la réputation de la Chine. “C’est une image d’Épinal qui correspond de moins en moins à la réalité”, assure Mary-Françoise Renard, en rappelant qu’en 2011 les exportations chinoises ont moins augmenté que ses importations.
Les dernières déclarations du Premier ministre chinois au Parlement confirment le virage amorcé aux plans économique et commercial. Plutôt que de tout miser sur les exportations, Pékin cherche aujourd'hui à se doter d’une monnaie internationale qui pourrait devenir une devise étalon au même titre que le dollar. Mais pour y parvenir, elle doit d'abord gagner en crédibilité internationale. "Pour que les partenaires de la Chine acceptent d’utiliser le yuan plutôt que le dollar dans leurs échanges internationaux, il faut qu’ils n’aient pas l’impression que c’est une monnaie administrée par le pouvoir chinois", analyse Mary-Françoise Renard.
Grogne sociale
La Chine s’apprête en fait à utiliser sa monnaie comme une arme plus politique. “Le gouvernement chinois veut dans un premier temps que le yuan soit la principale monnaie utilisée dans les échanges de la zone Asie”, souligne la directrice de l’Idrec. “Plus il y aura de produits échangés en yuan, plus l'influence chinoise, autant économique que politique, sera grande", rajoute-t-elle.
Reste que cette inflexion de la politique monétaire est aussi dictée par un impératif économique. Un yuan plus fort signifie des importations moins chères. Pékin cherche, actuellement, à diversifier ses exportations et doit acheter à l'étranger de plus en plus de matières comme l'or ou le pétrole afin de se spécialiser dans des produits à valeur technologique ajoutée, très gourmands en matières premières.
Reste que la volonté réformiste de Wen Jiabao pourrait se heurter à la réalité sociale. La grogne gagne en effet de plus en plus le monde rural et ouvrier qui, face à la montée des prix et des inégalités en Chine, est de plus en plus prompt à réagir voire à manifester. En juin 2011, le niveau de l'inflation avait conduit des milliers de personnes à descendre dans les rues de Canton. Les autorités semblent aujourd'hui davantage préoccupées par cette agitation que par une profonde réforme monétaire dont les effets, à court terme, semblent encore bien incertains.