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Geir Haarde, bouc émissaire de la crise financière islandaise ?

Le procès de l’ex-Premier ministre islandais Geir Haarde, accusé d’être à l'origine de la crise financière dans son pays, a débuté ce lundi. Une affaire qui pose question : un homme peut-il être seul responsable de la faillite de tout un système ?

Geir Haarde pourrait bien devenir le premier chef de gouvernement au monde à être reconnu coupable par la justice d’avoir plongé son pays dans la crise économique en 2008. Une cour spéciale islandaise se penche depuis lundi 5 mars sur la part de responsabilité de l’ex-Premier ministre conservateur (2006-2009) dans la déroute financière de la petite île du nord de l’Europe. Le Landsdomur, unique juridiction habilitée à juger en Islande ministres et anciens ministres, pourrait décider de condamner l’ancien numéro un islandais à deux ans de prison si le tribunal le reconnaît coupable de négligence criminelle.

Une personnification de la crise financière de 2008 que l’accusé récuse. “Il n'y a qu'avec le recul que l'on peut dire que tout ne s'est pas passé comme il aurait fallu”, s’est défendu lundi 5 mars Geir Haarde, qui estime être victime d’une “farce politique mise en scène par de vieux ennemis politiques”.

Une “farce” qui a commencé en 2008 pour ce vétéran de la politique. Geir Haarde, qui a été membre du Parlement pendant 22 ans pour le Parti de l’indépendance, est Premier ministre depuis 2006 lorsque la crise des subprimes s’abat sur l’Islande. Le gouvernement voit alors tout le système bancaire islandais - qui avait largement investi dans des produits financiers à risque - s’effondrer en octobre. En janvier 2009, Geir Haarde démissionne, reconnaissant que la “crise économique a entraîné une crise politique”.

Rapport incendiaire

Il pense alors avoir payé son dû à la crise mais Geir Haarde en est, en fait, encore loin. Mise en place en décembre 2008, une commission d’enquête parlementaire réfléchit pendant plus d’un an sur les causes de la débâcle financière islandaise. Les conclusions des parlementaires, présentées en avril 2010, sont sans appel : tout au long des 2 000 pages d’un rapport incendiaire, Geir Haarde est présenté comme l’un des principaux responsables de la crise.

En cause, selon les auteurs du rapport, sa “très grave négligence” et son “inaction” face aux événements auraient contribué à plonger le pays dans l’une des pires crises de son histoire. Les parlementaires reprochent à Geir Haarde de n’avoir rien fait pour empêcher le secteur bancaire de grossir au point de représenter, fin 2008, près de onze fois le PIB islandais. Une aberration qui n’était, selon le rapport parlementaire, pas viable. La crise des subprimes n’auraient, en fait, été que le déclencheur d’une implosion financière inéluctable.

Les parlementaires décident, fin septembre 2010, décident de saisir le Landsdomur pour juger l’ancien Premier ministre. Il devient alors le premier politicien islandais à devoir comparaître devant cette cour spéciale instituée en 1905.

Procès politique ?

Très vite, le Parti de l’indépendance dénonce un procès “purement politique”. Le Parlement, aux mains des socialistes, prête, il est vrai, le flanc aux critiques : sur les quatre responsables politiques cités par le rapport d’avril 2010, seul le Premier ministre a été renvoyé devant la justice. Les trois autres, tous membres ou proches du Parti socialiste, ont été blanchis.

Mais c’est surtout cette volonté de désigner un coupable pour tout l’effondrement du système financier qui étonne. “Il faut se rappeler que les mesures [en faveur d’une libéralisation du secteur bancaire ndlr] prises par l'Islande à l’époque étaient applaudies partout”, rappelle au quotidien "le Monde" Gunther Capelle-Blancard, directeur-adjoint du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii).

L’Islande avait, en effet, entrepris depuis les années 1990 un vaste programme de déréglementation du système bancaire. L’effondrement du château de sable financier islandais résulterait politiquement autant de l’inaction de Geir Haarde que de l’action de son prédécesseur David Oddsson (1991-2004) selon la politologue islandaise Silla Sigurgeirsdóttir et le spécialiste britannique de l’économie politique Robert Wade, auteurs d'un rapport et d’un article dans le "Monde diplomatique" sur la mécanique de la crise islandaise.

Les deux spécialistes s’étonnent de la différence de traitement entre ces deux acteurs de la crise. Après son mandat de Premier ministre, David Oddsson a été à la tête de la Banque centrale jusqu’en 2009 - au plus fort de la crise - avant d’être nommé directeur du principal quotidien de Reykjavik, le "Morgunbladid". “C’est un peu comme si on avait nommé Richard Nixon à la tête du 'Washington Pos't pendant le Watergate”, concluent Silla Sigurgeirsdóttir et Robert Wade.