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Mani, photographe du Monde, dans la ville assiégée de Homs

L'armée syrienne poursuit son offensive contre la ville de Homs, principal foyer de la contestation dans le pays. Mani, photoreporter du journal Le Monde, a accordé un entretien à FRANCE 24 où il raconte la vie dans la ville assiégée.

Depuis une semaine, l’armée syrienne mène une nouvelle offensive à Homs pour faire cesser la contestation. Certains quartiers, comme Baba Amr, sont soumis à d'intensifs bombardements de l’armée régulière.

Entré en Syrie le 16 janvier dernier, le photoreporter Mani (pseudonyme) se trouve dans la ville assiégée de Homs, le principal foyer de l'insurrection contre le régime de Bachar al-Assad. Il est l'envoyé spécial du quotidien français Le Monde, dans lequel il a publié le 30 janvier un reportage sur un massacre à Homs. Joint par téléphone par Virginie Herz, grand reporter à France24, il raconte son expérience sur le terrain.  

FRANCE 24 : La situation s'est nettement dégradée depuis quelques jours à Homs. Que s'est-il passé depuis samedi ?

Mani : Suite aux veto russe et chinois, la situation militaire a vraiment évolué vers le pire. Depuis, une attaque militaire d’ampleur assez importante a été lancée sur différents quartiers - et notamment Baba Amr, pilonné lourdement depuis quatre jours. Ils sont victimes de tirs de mortier et de tirs de missiles Grad (...).

Intégralité de l'entretien téléphonique avec Mani

Mani, photoreporter pour Le Monde à Homs, Syrie, le 09/02/12 by FRANCE24

À quoi ressemble la vie quotidienne à Homs aujourd’hui ?

Cela commence à devenir assez compliqué d'acheter les produits essentiels pour se nourrir. Le pain est de plus en plus difficile à trouver. Peu de fours à pain sont ouverts aujourd’hui car il est de plus en plus compliqué d’accéder aux différents quartiers. Du coup, la farine n'y parvient plus. On voit donc des files très importantes de gens qui font la queue devant les rares boulangers encore ouverts. Je n’ai pas constaté de coupures d'eau importante. L’électricité part et revient très fréquemment, il y a souvent des interruptions importantes.
Les télécommunications ont été coupées ces derniers jours. Les activistes pensent que cela est directement lié à l’attaque de l'armée sur Baba Amr, Khalidiyé et Bayada pour ne pas permettre à leurs habitants de montrer au monde ce qui se passe ici et les empêcher d'envoyer des vidéos pour témoigner de la situation.

Dans quelles conditions travaillez-vous et que réussissez-vous à voir ?

J’ai un certain nombre de contacts parmi les activistes, les gens de l’Armée syrienne libre (ASL) et tout un tas de gens à Homs qui connaissent mon travail et qui ont confiance en moi. Donc je parviens à travailler et à évoluer d’un quartier à l’autre. Il m’arrive parfois d’accompagner des soldats de l’ASL. J’étais présent lors de certaines des offensives qu’ils ont lancées dernièrement, notamment dans la nuit de samedi à dimanche. C'était une offensive très importante avec trois bataillons qui ont attaqué le bâtiment qui abrite la sécurité criminelle depuis lequel les forces loyalistes et des snipers qui se trouvaient sur les toits tiraient sur les passants à longueur de journée. J’en ai été témoin de très nombreuses fois. J’ai pu voir les victimes, parfois des enfants, qui sont tombées dans ces endroits là. Il y a eu notamment un enfant qui s’appelait Mohammed Boukhai, il avait 10 ans, je l’ai photographié il y a une dizaine de jours. L’ASL a trouvé le moyen de lancer l’offensive contre cette position et l’a totalement détruite.

L’ASL est-elle suffisamment armée pour se défendre face aux forces du régime de Bachar al-Assad ?

J’étais déjà là il y a trois mois. Ce que j’ai pu constater, c’est que l’ASL a beaucoup gagné en force et s’est largement implantée dans les quartiers de l’opposition. Il y a trois mois, elle était déjà présente, mais de manière beaucoup plus discrète. Désormais, l’ASL les contrôle vraiment. Il y a des checkpoints partout. Cette ASL est beaucoup plus organisée. De plus en plus de civils la rejoignent pour prêter main forte aux officiers de carrière qui ont fait défection. Il y a d'ailleurs toujours des mouvements de défection importants.
Jour après jour, je le vois sur le terrain, des positions loyalistes sont détruites par l’ASL qui fait reculer de plus en plus les barrages des forces loyalistes. Aujourd’hui, ce qui se passe, c’est que l’armée régulière ne parvient plus à entrer dans ces quartiers. Si elle s’y aventurait, elle subirait de lourdes pertes. Du coup, l’armée reste à distance, entoure les quartiers de l’opposition et les pilonne.

L’armée régulière vise-t-elle spécifiquement les civils ?

Je l’ai constaté, je l’ai vu de mes yeux. J’ai aussi eu énormément de récits de victimes ou de proches de victimes qui m’ont raconté avoir été touchées alors qu’elles traversaient la rue et qu’il ne se passait rien à ce moment là. J’ai été plusieurs fois témoin de personnes tuées dans la rue juste à côté et je voyais leur corps être amené cinq minutes après. Il n’y avait alors aucune action militaire entreprise à ce moment-là, les snipers tiraient juste sur les passants. Certains tirs de mortiers visent des positions de l’ASL mais la majorité sont simplement dirigés sur des habitations de civils. À longueur de journée, on voit des cadavres, des blessés graves. J’ai pu le voir, j’ai pu le filmer. Lorsque des tirs de mortiers tombent, on peut en voir 5 ou 10 atterrir dans le même quartier. Lorsqu’il y en a un qui tombe à 50 ou 100 mètres, on constate qu’il n’y a aucun objectif militaire à proximité.

Médecins sans frontières (MSF) dénonce le fait que les blessés ne peuvent pas être soignés dans les hôpitaux parce qu’ils sont visés par l’armée régulière ou des milices à la solde du régime. Avez-vous pu constater cela également ?

Tout à fait. J’ai pu recueillir beaucoup de témoignages de médecins et de personnels soignants qui m’ont tous expliqué la situation extrêmement difficile dans laquelle ils sont pour évacuer les blessés. Lorsqu’ils le font, ils les mettent dans de petits véhicules. Le blessé et la personne qui le soigne doivent se coucher tous les deux dans le véhicule qui part tous feux éteints pour ne pas se faire tirer dessus par les snipers parce qu’ils tireront de toute façon de manière indiscriminée sur tout véhicule.

La Ligue arabe pourrait renvoyer ses observateurs en Syrie. Comment cette annonce est-elle accueillie par la population de Homs ?

La population de Homs a été extrêmement déçue par la première mission de la Ligue arabe. Je doute très fortement qu’elle les accueille avec enthousiasme. Les habitants ont constaté que lorsque les observateurs étaient présents, la répression ne s’est absolument pas arrêtée, les morts ont continué à affluer dans les morgues à longueur de journée, et que, au final, la mission n’est pas parvenue à obtenir un quelconque résultat.