Le président français, Nicolas Sarkozy, a décidé d’instaurer une taxe sur les transactions financières spéculatives, même si la France est seule à l’appliquer en Europe. Une taxe qui comporte plusieurs failles, selon un trader contacté par FRANCE 24.
Nicolas Sarkozy veut faire payer les spéculateurs déchaînés. Dimanche 29 janvier, lors de son intervention télévisée, le président français a annoncé que son gouvernement allait instaurer une taxe de 0,1 % sur les transactions financières qui n’ont pas d’intérêt pour l’économie réelle.
Bien que dans l’air, cette taxe Tobin "à la mode Sarkozy" a surpris : la France entend en effet l'instaurer seule, sans assurance qu’un autre pays européen suive son exemple. L'annonce présidentielle laisse également plusieurs questions en suspens, comme l’explique à FRANCE 24 Éric Valatini, trader français officiant en Asie pour le compte d'un grand groupe bancaire.
France 24 - Pensez-vous que la taxe dévoilée par Nicolas Sarkozy va, comme il l'affirme, uniquement pénaliser les transactions financières spéculatives ?
Éric Valatini - Les deux principaux types de transactions financières visées par cette taxe sont le "trading" haute fréquence et les "Credit Default Swap" (CDS), qui peuvent en effet être utilisés à des fins spéculatives. Mais il faut bien comprendre que ces opérations ne sont pas par définition spéculatives.
Le "trading "haute fréquence désigne des ventes et achats de titres entièrement informatisés. Avant l’irruption de l’informatique dans les salles de marché, cela s’appelait l’arbitrage. Quelqu’un avait alors les yeux rivés sur les écrans pour vendre et acheter en fonction de la moindre fluctuation sur les marchés. L’informatique a rendu cette pratique plus efficace. Ce type d’opération n’a, en effet, pas un grand intérêt pour l’économie réelle. Mais la proposition française de taxer ce type de transaction se heurte à une réalité : il n’y a quasiment plus de "trading" haute fréquence à Paris.
Ensuite, la manière dont Nicolas Sarkozy a défini les CDS est vicieuse. Le président français a expliqué qu’il s’agissait d’un outil de spéculation sur les dettes souveraines. Ce n’est pas cela : les CDS sont simplement des contrats d’assurance sur la faillite d’un acteur économique. Ils peuvent être utilisés pour spéculer mais au même titre qu’un marteau, par exemple, peut servir pour taper sur quelqu’un au lieu de servir à enfoncer un clou... En d’autres termes, des personnes qui voudront avoir recours aux CDS pour mieux gérer leurs risques vont être taxées comme des spéculateurs.
F24 - À vous entendre, on a l’impression que cela ne sert à rien de taxer les transactions financières...
E. V. - Grâce à des incitations financières, on peut essayer de favoriser les transactions qui servent à l’économie réelle et pénalisent celles qui sont purement spéculatives. On peut ainsi, par exemple, taxer les opérations limitées dans le temps. L’achat d’un titre revendu dans la journée n’a en effet qu’un intérêt purement financier. En revanche, inciter fiscalement les acteurs à détenir des titres à plus d’un an peut favoriser des investissements dans des entreprises qui ont une stratégie à plus long terme.
Pour ce qui est des CDS, le problème majeur est que c’est un marché très opaque. Une des manières de les rendre moins spéculatifs serait de créer une bourse aux CDS et d’établir des règles pour ces transactions. Mais une telle proposition est moins percutante que celle qui consiste à dire “on va taxer les CDS...”
F24 - Pensez-vous que Nicolas Sarkozy a raison de se lancer seul dans cette aventure ?
E. V. - C’est complètement inefficace et même contre-productif. L’espoir de Nicolas Sarkozy de voir d’autres pays le suivre dans cette voie me semble très optimiste. Je ne vois pas pourquoi d’autres pays se priveraient d’attirer chez eux des opérateurs qui se détourneront de la place parisienne devenue moins attractive.
De toute façon, dans six mois, les investisseurs auront trouvé un moyen pour contourner une taxe financière décidée unilatéralement par un seul pays quitte, pour les acteurs français, à créer des fonds d’investissements domiciliés à l’étranger. Pour l’heure, la proposition de Nicolas Sarkozy donne plutôt l’impression du village gaulois qui s’excite tout seul dans son coin.